Peu d’entre nous sont familiers avec les cavernes qui constituent le sujet d'intérêt des spéléologues et biospéléologues. Dans la bande dessinée, le professeur Leptoford est un biospéléologue qui nous raconte sa dernière découverte, une araignée inconnue de la science de la famille des Leptonetidae découverte dans une caverne du Mexique (figure 1). Mais tout d’abord, qu’est ce qu’un spéléologue ? en quoi cela diffère d’un biospéléologue ? Voyons ce que veut dire chacun de ces mots.
Spéléologue.
Spéléo - = du grec ancien spêlaion qui signifie « caverne, cavité, grotte »,
- logue ou - logiste = signifie « la parole » ou le « le discours »; désigne un spécialiste dans le domaine en lien avec la première partie du mot.
Biospéléologue.
Bio - = du grec bios qui signifie « la vie »,
- spéléo - = élément préfixal, du grec ancien spêlaion qui signifie « caverne, cavité, grotte »,
- logue ou - logiste = signifie « la parole » ou le « le discours »; désigne un spécialiste dans le domaine en lien avec les premières parties du mot.
Un spéléologue est donc un scientifique, souvent à la base un géologue, qui s’est spécialisé dans l’étude des cavernes. Dans le langage courant, ce mot désigne aussi quelqu’un qui s’intéresse, étudie ou explore les cavernes et ce terme s’applique aux scientifiques comme aux sportifs. Depuis quelques années, on voit de plus en plus le néologisme biospéléologue (contraction de biologie et spéléologie) qui désigne ceux qui se spécialisent dans l’étude des animaux et bestioles qui vivent dans les cavernes. Un biospéléologue est donc un scientifique, souvent à la base un biologiste, spécialisé dans l’étude des animaux associés aux cavernes. La principale différence entre un spéléologue et un biospéléologue est que ce dernier s’intéresse au vivant, tandis que le premier s’intéresse aux pierres.
Qu’est-ce qu’une caverne ?
Les cavernes sont des trous qu’on trouve dans la roche, ni plus, ni moins. Toutefois, l'aspect de ces cavités est souvent très spectaculaire (figure 2) et nous verrons dans les lignes et les blogues qui suivent, différents mécanismes et caractéristiques derrière ce curieux habitat.
Ce ne sont pas des trous dans la terre, ni des tunnels faits par les humains, mais bel et bien des trous dans le roc creusés par la nature elle-même. Il est important de faire la différence entre une caverne et une mine, qui elle, est creusée artificiellement dans le but d’extraire du minerai ou autre matériel recherché. Le terme grotte est aussi courant, mais la distinction entre une caverne et une grotte n’est pas claire. Selon les linguistes, caverne s’applique dans le cas des cavités plus grandes et grotte dans le cas des cavités plus petites. Mais ce qu’on entend par “plus grande” et “plus petite” demeure difficile à définir. Les deux termes sont d’origines différentes et semblent désigner le même phénomène naturel. Caverne est cependant un terme plus général et probablement plus approprié pour l’ensemble du phénomène de cavités dans les formations rocheuses. Dans certaines régions du monde, on emploie aussi le terme gouffre pour désigner un trou vaste et profond.
Une caverne, est-ce que c'est grand ou petit ? étroit ou vaste ? Est-ce que le trou est vertical (qui descend vers les profondeurs de la Terre) ou horizontal ? Il n’y a pas de bonnes réponses à ces questions puisqu’il existe des cavernes de toutes les tailles et de toutes les formes. Pour en savoir plus sur une caverne, on ne peut pas se fier à la forme de l’entrée (figure 3), il n’y a pas d’autres choix que d’aller l’explorer !
La définition de la taille minimale d’une caverne est loin d’être uniforme : dans certains états américains, le trou doit avoir au moins 18 mètres de profondeur pour être considéré comme une caverne, et dans d’autres, il n’y a pas de minimum. Les biospéléologues ont tendance à considérer qu’il s’agit d’une caverne à partir du moment où la cavité peut abriter des organismes spécialistes des cavernes, les troglobies. On emploie ce terme pour qualifier les espèces qui sont des spécialistes des cavernes; ces espèces vivent uniquement dans les cavernes et ne peuvent survivre en dehors de l’habitat cavernicole. Quand la cavité est trop petite pour un humain, on emploie parfois le mot fissure. Une définition pratique veut que le trou doit être assez grand pour permettre à un être humain de s’y trouver, même couché en rampant. Il n’y a pas de taille maximale, le réseau de caverne le plus étendu de la planète fait plus de 667 km (Mammoth Cave, États-Unis); les cavernes de Krubera-Voronja et celle de Veryovkina (toutes les deux en Géorgie, Europe) font plus de 2 km de profondeur. Les cavernes de bonnes dimensions sont composées de différentes sections portant des noms descriptifs qui donnent une idée générale de l'aspect de la structure : entrée, chambre, descente, couloir, etc.
Est-ce que les cavernes sont dangereuses ?
Une grande partie des craintes ressenties par les néophytes à propos de l’exploration des cavernes provient de la confusion entre les mines et les cavernes. Bien sûr, les mines et les cavernes sont des trous dans la roche, mais en aucun cas, une caverne peut être considérée comme l’équivalent d’une mine. Les cavernes se forment lentement par la nature, principalement avec la dissolution du calcaire, et sont souvent âgées de millions d’années. À cette échelle de temps, nous pouvons imaginer qu’une caverne a subi des milliers de tremblements de terre, ce qui a mis la solidité de la structure rocheuse à rude épreuve à de nombreuses reprises. A contrario, les mines sont creusées par les humains dans une multitude de types rocheux, et sont très récentes en comparaison des cavernes, souvent quelques dizaines d’années. Les conditions dans les mines peuvent être précaires parce qu’elles sont parfois construites rapidement et à un coût minimum, particulièrement dans les régions où les conditions de sécurité au travail ne sont pas respectées ou dans les mines qui sont exploitées illégalement. Les écroulements dans les mines sont peu fréquents, mais dans les cavernes, ils sont rarissimes. Si une caverne était instable, il y aurait longtemps qu’elle se serait écroulée avec un âge calculé en millions d’années ! Il est loin d’être certain que les mines pourraient résister à un tel test de solidité.
Est-ce dangereux ? Tout dépend de la façon dont les risques encourus sont évalués. Plusieurs spéléologues aiment bien faire une comparaison avec les déplacements en voiture sur l’autoroute. Quand on y songe, se déplacer dans une boîte de métal à plus de 100 km/heure et croiser d’autres boîtes de métal qui se déplacent en sens inverse elles aussi à 100 km/heure, semble très risqué, mais nous le faisons pratiquement tous les jours. Si on ajoute que la distance entre les deux véhicules qui se croisent n’est que de quelques mètres, ça semble complètement fou ! Et que penser lorsque nous faisons ces déplacements en plein hiver, sur des chaussées enneigées ou glacées ? Un tel risque semble inacceptable, mais il s’agit pourtant d’une situation banale, vécue par des millions de gens chaque jour, même si les accidents routiers qui font des milliers de morts sont, malheureusement, bien connus. En comparaison, descendre le long d’une corde avec l’équipement approprié, ou se déplacer dans un tunnel étroit comporte peu de risques.
Cependant, il existe des règles de base et des recommandations à observer pour l’exploration des cavernes afin d’assurer la sécurité. En voici quelques-unes: 1) Il ne faut jamais explorer une caverne seul; les explorations sont faites par des équipes ce qui est un avantage pour l’entraide sur le terrain ou pour aller chercher de l’aide au besoin. De façon générale, il est préférable de laisser des indications précises à des personnes qui ne font pas partie de l’exploration quant aux lieux visés et sur l’horaire prévu. Un léger retard pour le retour n’est pas alarmant, mais un délai de quelques heures indiquera peut-être qu’un problème est survenu. La personne ressource peut alors s'assurer que tout va bien, ou organiser les secours en cas de difficultés. 2) Le port du casque est primordial pour la protection de la tête comme en témoignent les nombreuses et profondes égratignures sur les casque des spéléologues. De plus, le casque constitue un endroit parfait pour installer une source lumineuse puisqu’elle éclairera toujours dans la direction du regard. 3) L’utilisation de matériel de spéléologie adéquat permet d’effectuer facilement les descentes et les remontées le long des cordes et ce, en toute sécurité. 4) Sans être essentiel, l’accompagnement par des spéléologues d’expérience au sein d’une équipe est un atout important. Ces derniers peuvent non seulement contribuer à ce que tout se déroule bien, mais peuvent faire ressortir les beautés, les faits intéressants ou inédits lors de l’exploration qui pourraient passer inaperçus pour les moins expérimentés.
Est-ce qu’on connaît tout à propos des cavernes?
Il y a une foule de choses fascinantes à propos des cavernes, ça nous le savons déjà. Mais est-ce que nous connaissons tout ? Par exemple, combien y a-t-il de cavernes dans le monde ? À première vue, cette question semble simple. Toutefois, il est très difficile d’y répondre même de façon approximative. Il n’existe aucune compilation officielle sur le nombre de cavernes existantes. Pour les État-Unis par exemple, plusieurs états avancent des nombres situés probablement près de la réalité : environ 6 000 cavernes au Texas, plus de 10 000 au Tennessee, etc. Il est cependant surprenant qu’aucune compilation officielle ne soit en cours, et les meilleures indications suggèrent que le nombre de cavernes situées aux État-Unis est d'environ 60 000. Avec le nombre de cavernes découvertes régulièrement aux État-Unis seulement, plusieurs spécialistes laissent planer que le nombre total devrait plutôt avoisiner 100 000 cavernes. Même en Europe, là où l’exploration de cavernes est probablement la plus avancée de la planète, il n’est pas possible de trouver un nombre approximatif qui soit fiable. Alors comment arriver avec une estimation pour des régions moins connues comme l’Océanie ou l’Asie ?
Grâce aux méthodes modernes de cartographie des zones karstiques (régions où la roche calcaire est dominante, donc des zones riches en cavernes), certains spécialistes avancent que près de 40% des karsts de la planète se trouvent en Chine. Mais il s’agit d’une vaste région encore mal connue puisque l’exploration scientifique des cavernes n’a débuté que dans les années 2000. Combien y a-t-il de cavernes en Chine seulement ? Bien malin celui qui pourra avancer un nombre exact. Pour le Québec, on avance le nombre d’environ 300 cavernes et on entend parfois plus de 2 000 au Canada. Ces nombres sont probablement justes, mais il n’existe aucun régistre officiel sur le sujet. Toutefois, dans d’autres régions du monde, même une approximation est périlleuse et nous sommes donc loin d’avoir un nombre qui semble fiable pour la planète. De plus, il faut aussi être conscient que plusieurs cavernes n’ont pas d’expression de surface, c’est-à-dire qu’elles ne comportent pas d’entrées qui permettent d’y accéder. Les humains ne peuvent donc pas déceler ces cavernes et encore moins y pénétrer. Qu’en est-il pour les bestioles ? La présence de troglobies dans les cavernes qui n’ont pas d’expression de surface laisse supposer que la colonisation de ces habitats passe par d’autres mécanismes que l’accès par une entrée. Le concept d’espaces souterrains superficiels - un fin réseau d’espaces vides et de microfissures - est souvent évoqué dans la complexe mécanique de colonisation des cavernes par les espèces troglobies. Les cavités qui ne sont pas accessibles sont donc plus difficiles à découvrir. Une évaluation récente a même avancé que 90% des cavernes n’ont pas d’expression de surface, ce qui laisse penser que peu importe le nombre de cavernes connues d’un endroit donné, il en existe probablement encore 10 fois plus qui ne sont pas encore découvertes. Un peu décourageant pour ceux qui aimeraient avoir un nombre précis de cavernes pour notre planète, par contre très encourageant pour ceux et celles qui désirent explorer ou découvrir de nouvelles cavernes.
Il en va de même pour la connaissance des animaux et bestioles associées aux cavernes. En Amérique du nord, on avance qu’environ 1000 espèces sont associées aux cavernes (les troglophiles - qui ont des affinités pour les cavernes - et les troglobies qui sont les spécialistes). Plusieurs espèces sont découvertes encore de nos jours, et certaines sont connues mais n’ont toujours pas fait l’objet de publications scientifiques; elles n’ont pas de noms scientifiques, elles “n’existent” pas faute d’avoir rencontré les critères de base pour devenir une espèce proprement dite (voir nomenclature). Il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour la plupart des êtres vivants associés aux cavernes.
Encore beaucoup de travail à faire
Les mécanismes menant à l’évolution de la vie dans les cavernes et aux adaptations physiologiques à un monde sans lumière, sont encore mystérieux. Depuis quelques décennies, l’intégration de méthodes utilisant l'ADN des animaux, incluant les insectes et araignées associés aux cavernes a énormément fait progresser nos connaissances, mais ont aussi mené à d’autres questions pour lesquelles nous n'avons toujours pas les réponses. Nous sommes encore loin de tout savoir à propos des êtres vivants associés à cet habitat qui ne ressemble à rien d’autre.
Certains croient qu’avec un peu de chance, l’exploration des cavernes mènera à la découverte de diamants et de pierres précieuses. Il faut rappeler que l’existence même des cavernes est principalement une conséquence de la présence du calcaire (voir karst). Les roches qu’on verra donc dans les cavernes sont faites de calcaire, ce qui n’est pas une pierre précieuse ! Les diamants, émeraudes et autres matériaux précieux ne s’y trouvent pas. Cependant, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de « trésors »; par exemple les stalactites et stalagmites et autres grandioses formations rocheuses, les animaux troglobies, ces formes de vie adaptées aux conditions des cavernes, ou encore les spectaculaires paysages souterrains constituent de véritables trésors pour ceux qui ont la chance de pouvoir les observer.
Pour terminer ce tour de piste, mentionnons que les cavernes constituent des systèmes biologiques à part entière (nommés écosystèmes) qui, contrairement à la plupart des écosystèmes, ne fonctionnent pas à partir de la lumière du soleil. Ces systèmes souterrains fonctionnent à partir de la matière en décomposition comme source d’énergie de la chaîne alimentaire, source qui est attribuable aux chauves-souris et aux autres animaux qui se nourrissent hors des cavernes mais y rejettent des excréments. Dans ces excréments, appelés guano, poussent des champignons et des bactéries, qui nourrissent les décomposeurs, qui nourrissent les petits prédateurs, qui nourrissent les plus grands prédateurs. Un simple mal fonctionnement de cette pyramide alimentaire est susceptible de perturber toute la chaîne alimentaire qui contient souvent des espèces rares, fragiles, qui ne vivent que dans les cavernes (troglobies) et qui de plus sont souvent endémiques, c’est-à-dire qu’elles ne se trouvent que dans de petits territoires. Ce type de fragilité et de rareté est le contexte par excellence pour des problèmes liés au respect de la nature, de la conservation de ces habitats, et de la protection de nombreuses espèces qui sont inscrites sur la liste des espèce menacées de disparition, comme cette araignée troglobie Cicurina madla Gertsch 1992, un troglobie aveugle d’une grande rareté qui ne se trouve que dans quelques cavernes du centre du Texas (figure 4).
Auteur : Pierre Paquin
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