La plupart des gens s’imaginent que les cavernes foisonnent de bestioles dangereuses et les biospéléologues risquent leur vie à chaque exploration. Cependant, la réalité est tout autre puisque très peu d’espèces animales sont associées aux cavernes et aucune ne présente un réel danger. Par exemple, en Amérique du Nord, on connaît plus de 3800 espèces d'araignées, mais 115 seulement sont étroitement associées aux cavernes.
Il existe une terminologie pour qualifier le type de relation entre une caverne et une espèce qu'on y capture : le terme trogloxène (troglo- = caverne, -xène = étranger) désigne une espèce récoltée dans une caverne mais qui s'y trouve accidentellement. Par exemple, une souris tombée dans une caverne. Il n’y a pas de lien particulier entre ces animaux et l'habitat “caverne”, mais leur présence est possible.
Troglophile (troglo- = caverne, -phile = aimer) désigne une espèce associée aux cavernes et qui s'y reproduit, mais qui peut aussi être capturée ou se reproduire dans d'autres habitats. Leur corps montre rarement des adaptations claires avec les cavernes ; ces espèces peuvent aussi se trouver et se reproduire dans des habitats autres que les cavernes. Plusieurs espèces de chauves-souris sont des troglophiles. Elles dorment dans les cavernes et à la tombée du jour, elles les quittent pour aller chasser des insectes. Les chauves-souris ne sont pas des spécialistes des cavernes et leurs corps ne sont pas adaptés à cet habitat. À la limite de cette définition peuvent se trouver les ours et les serpents à sonnettes : leur présence est possible dans les cavernes. Ces animaux les utilisent parfois comme site d'hibernation, ou encore comme refuge contre la chaleur dans le cas des serpents. Leur présence dans les cavernes n’est pas accidentelle, mais ces animaux ne sont pas obligatoirement associés à cet habitat.
Enfin, troglobie (ou troglobionte) (troglo- = caverne, -bionte = bios = vie) définit une espèce spécialiste qui vit exclusivement dans les cavernes et qui y accomplit son cycle vital (figures 1, 2). Ces animaux et bestioles ne sortent JAMAIS des cavernes. Ils trouvent leur nourriture dans les cavernes et n’ont pas besoin d’aller la quérir à l’extérieur. On dit de ces espèces que ce sont des spécialistes des cavernes car, non seulement ils n’en sortent jamais, mais leurs bébés n’en sortent pas plus, et cela pour toute leur vie. Pire encore, les bébés des bébés n’en sortent pas non plus, et ce, depuis des millions et des millions d’années. Ces animaux sont obligatoirement trouvés dans des cavernes et sont qualifiés de spécialistes des cavernes. On rencontre parfois l'expression « espèce troglobitique » pour ces spécialistes, ce qui est une francisation de l'anglais troglobite (= troglobie) et de l'adjectif troglobitic. On emploie aussi le terme stygobie (du Styx, le nom donné à un des fleuves des enfers; stygobite en anglais), pour désigner les espèces vivant exclusivement dans les eaux souterraines (figure 3).
Les trois termes trogloxène, troglophile et troglobie sont à la fois des adjectifs et des substantifs masculins. Certains auteurs ont proposé que troglophile et troglobie représentent les deux extrêmes du spectre des relations entre les animaux cavernicoles et les cavernes, et que le degré de spécialisation et d'adaptation à cet environnement forme un gradient plutôt que deux catégories distinctes. On trouve aussi le terme cavernicole, qui quant à lui, réfère aux cavernes en général, peu importe le degré de spécialisation pour cet habitat.
Les troglobies sont présents dans les cavernes depuis des millions et des millions d’années, et, de génération en génération, leurs corps se sont lentement adaptés aux conditions d’obscurité, de température et d’humidité. Typiquement, les espèces troglobies se distinguent par les adaptations suivantes : (1) les yeux réduits, ce qui varie de la réduction de la fonctionnalité des yeux jusqu’à une absence complète. (2) réduction de la pigmentation (de la peau ou de la chitine) jusqu'à devenir transparente ou translucide. (3) Élongation des pattes, des appendices et du corps en général. Le ralentissement du métabolisme et du taux de reproduction sont aussi connus pour ces spécialistes, mais difficilement observables.
Les espèces troglobies sont complètement dépendantes des habitats des cavernes et même une brève exposition aux conditions de surface peut être mortelle. Cette étroite dépendance entraîne une distribution géographique des espèces très limitée, habituellement confinée à une petite région. Ce qui suggère qu’au cours de leur évolution en tant que structures géologiques les cavernes qui abritent la même espèce ont déjà été en contact. Cette distribution limitée résulte aussi en un taux d’endémisme très élevé pour ces troglobies.
De telles espèces spécialistes des cavernes sont connues dans plusieurs groupes d’animaux : poissons, salamandres, crustacés (crabes, crevettes) arachnides (pseudoscorpions, araignées, opilions, scorpions, palpigrades), myriapodes, insectes (coléoptères, collemboles), et cette liste n’est pas exhaustive. Remarquablement, toutes les espèces troglobies évoluent de la même façon dans cet environnement : réduction des yeux, réduction de la pigmentation et allongement du corps et des appendices : et ce peu importe l’espèce ou son bagage génétique. C’est ce qu’on nomme convergence évolutive, qui veut dire que tous les êtres vivants spécialisés dans les cavernes s’adaptent à cet environnement avec des modifications de leurs corps qui sont semblables.
Il est facile d’oublier que l’échelle de temps nécessaire pour arriver à de telles adaptations se mesure en millions d’années passées exclusivement dans les cavernes. Dans plusieurs régions du monde, on ne retrouve pas de troglobies, malgré le fait que des cavernes soient présentes. Par exemple, il n’y a pas de spécialiste des cavernes (troglobies) au Canada et au Québec. Cette situation s’explique par la dernière période glaciaire où une épaisse couche de glace a recouvert le Canada pendant une période assez longue pour éliminer toute trace de vie dans les cavernes. Il y a environ 14 000 ans, la température de la planète s’est réchauffée, marquant la fin de ces dernières glaciations, exposant à nouveau les cavernes à la vie de la surface. Toutefois 14 000 ans ne constituent pas une période assez longue pour permettre aux espèces d’évoluer et s’adapter aux conditions des cavernes. La situation est analogue à celle de l’Europe qui ne comptent pas de troglobie dans sa portion plus nordique. Pour trouver des troglobies, il faut porter son attention aux États-Unis, là où les glaciations n’ont pas recouvert le territoire. En Europe, les connaissances ont permis d'identifier un corridor qui s’étend de l’Espagne et du sud de la France, jusqu'en Slovénie où la richesse en espèces troglobies est maximale, ce qui est qualifié de point chaud mondial de la diversité des spécialistes des cavernes.
Auteur : Pierre Paquin
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