Figure 1. Matt fait référence au célèbre parfum Chanel #5, pour souligner la forte odeur d’ammoniaque que peuvent dégager les accumulations de guano. (Crédit : Paquin & Roy-Savard).

Le mot français guano provient de l'espagnol guano, qui lui vient du quechua wanu, et qui signifie un amas d’excréments. Il y a deux grands types de guano : celui que génèrent les oiseaux marins qui s’accumulent sur les rochers des rivages, et celui de chauves-souris, qui s'accumulent sur les planchers de cavernes. Le guano est exploité commercialement et vendu comme fertilisant agricole, parce que sa composition chimique est riche en azote, en nitrate et en potassium. À cause de la composition chimique du guano de chauves-souris, il a aussi été utilisé aux États-Unis dans les années 1800 pour fabriquer du salpêtre, un des ingrédients actifs dans la poudre à canon et les explosifs, qui servait dans la fabrication de munitions.

L’accumulation d’excréments de chauves-souris dans certaines cavernes de la planète est très impressionnante. Imaginons une colonie de millions de chauves-souris qui, chaque jour, effectuent une sortie pour consommer une grande quantité d’insectes. On évalue qu’une chauve-souris consomme chaque jour entre 30% et 100% de son poids en insectes. Elles les digèrent et expulsent les déjections qui tombent au sol. Si on ajuste notre calcul en fonction du fait que cette activité quotidienne dure depuis des dizaines de milliers d’années (voire plus), le résultat se mesure en milliers de tonnes qui s’accumulent depuis fort longtemps.

Dans la bande dessinée, Matt fait référence au célèbre parfum Chanel #5, pour souligner la forte odeur d’ammoniac que peuvent dégager les accumulations de guano (figure 1). Le guano de chauves-souris est un élément clé dans le fonctionnement de la vie dans les cavernes et pour la survie de cet écosystème. Un écosystème est un système biologique dans lequel chaque espèce (plantes, animaux et microorganismes) trouve sa nourriture et les ressources nécessaires pour assurer sa survie et sa reproduction. La majorité des écosystèmes de notre planète ont un point de départ commun : la lumière du soleil qui fait pousser les plantes grâce à un mécanisme appelé photosynthèse. Ces plantes sont ensuite consommées par les herbivores, puis les herbivores consommés par les prédateurs. On nomme cette suite une chaîne alimentaire, qui repose sur la lumière du soleil. Mais est-ce que cette source d’énergie pourrait fonctionner dans la chaîne alimentaire trouvée dans les cavernes ? Bien sûr que non, il n’y a pas de lumière... Alors comment est-il possible que la vie existe dans cet écosystème ? Et de plus, que des espèces soient devenues des spécialistes - qu’on appelle troglobies - de cet environnement ? C’est un fait extraordinaire propre aux cavernes : la vie a réussi à se faufiler en utilisant une autre source d’énergie que le soleil, celle du guano et de la décomposition ! 

En fait, le guano constitue l’élément clé de la chaîne alimentaire présente dans les cavernes qui est essentiellement basée sur la décomposition. D’autres animaux sortent aussi à l’extérieur des cavernes pour se nourrir (criquets, ratons laveurs, etc.) et au retour, contribuent aux matières organiques qui se décomposent à l'intérieur des cavernes. L’eau qui entre dans les cavernes transporte parfois des feuilles et des petits morceaux de bois, qui eux aussi se décomposeront. De plus, certains animaux meurent dans les cavernes. Toute cette matière morte se décompose et constituera la base de la chaîne alimentaire propre aux cavernes. Des champignons et des bactéries poussent sur et dans cette décomposition et de minuscules arthropodes (mille-pattes, collemboles, etc) se nourrissent de ces champignons et bactéries. Ces bestioles deviennent les proies de prédateurs (araignées, coléoptères, salamandres, …) qui s’en nourrissent. Cette chaîne alimentaire, qui débute par la décomposition de la matière morte, rend possible l’existence des espèces spécialistes qui ne se trouvent que dans les cavernes, et de la vie en général dans cet habitat.

Figure 2. Un myriapode troglobie, un décomposeur important de la chaîne alimentaire propre aux écosystèmes des cavernes (Crédit : Kemble White).

Dans les plus extraordinaires accumulations de guano de chauves-souris connues sur Terre, la somme de matières en décomposition à l’intérieur d’une caverne ressemble à une montagne. Des études récentes dans les montagnes de guano, ont permis de découvrir des espèces inconnues qui sont des spécialistes de cet habitat particulier. Ce sont des décomposeurs, des myriapodes entre autres (figure 2), qui ont réussi à exploiter cette ressource particulière. De plus, on a du même coup découvert que les espèces actives à la surface des montagnes de guano ne sont pas les mêmes que celles trouvées dans les couches plus profondes; préférence subtile au niveau de la subdivision de l'habitat. 

Enfin, souvenons-nous que certains chiroptères sont des hématophages, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent de sang, particulièrement celui du bétail. Certaines colonies de vampires vivent dans les cavernes et il est difficile de s’imaginer à quoi peut ressembler le guano des chauves-souris vampires. Nous pouvons donner comme indice la couleur noire et l’odeur très particulière qui s’en dégage. À bien y penser, il y aurait de grandes chances que les espèces associées au guano de vampires ne soient pas les mêmes que celles associées au guano “ordinaire” ! Il y a tant de mystères à percer encore sur cette planète.

Auteur : Pierre Paquin

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Publié 
6/8/2024
 dans la catégorie 
Fractalis