Figure 1. Corius introduit le sujet de l’ADN dans sa présentation parce que la patte de moa dans une caverne était tellement bien préservée, qu'il a été possible d’en extraire de l’ADN. Incroyable pour une espèce éteinte et une chance unique d’en apprendre plus, grâce au séquençage, au sujet de ces oiseaux disparus. (Crédit : Paquin & Roy-Savard).

Un peu d’histoire : structure et compréhension de l’ADN et du code génétique

Le code génétique est universel sur la Terre. En effet, des virus jusqu’au éléphants, en passant par les bactéries, les chats, les chiens et les humains, tous les organismes utilisent les fameux nucléotides A, C, G et T (U remplace T dans l’ARN) pour encoder leur information génétique propre dans leur ADN et leur ARN, les deux types d’acides nucléiques.

Sauf pour une partie des virus qui ont un génome d’ARN, l’ADN est la forme d’acide nucléique sous laquelle se trouve le génome de tous les organismes. Chez l’humain, comme chez la plupart des organismes, l’ADN et l’ARN sont présents. Ils se ressemblent beaucoup mais ont quelques différences chimiques et structurales qui leur confèrent des propriétés un peu différentes et, comme on le verra un peu plus loin, qui leur permettent de jouer des rôles différents mais tout aussi importants à l’intérieur des cellules. L’ADN est le même dans chacune de nos cellules mais l’ARN varie entre les différents types de cellules.

Bien qu’ils soient au cœur de la vie, on ne connaît pas ces acides nucléiques depuis très longtemps. En fait, nos premières bases de connaissance sur le sujet remontent à la fin du 19e siècle et à un monsieur qui travaillait très fort (comme la plupart des chercheurs le font). Ce monsieur s’appelait Gregor Mendel. En travaillant en horticulture avec certaines plantes et en tentant de comprendre comment elles faisaient pour passer leurs caractéristiques (par exemple la couleur des fleurs) à leurs descendants, ce moine (oui, oui, il l’était vraiment!) a réussi à élaborer les bases de la génétique qui allaient, plusieurs années plus tard, mener à la découverte de l’ADN mais surtout des gènes qui y sont contenus. Après plusieurs décennies de recherche, ce n’est qu'en 1952, que la communauté scientifique comprend que c’est l’ADN (ou l’ARN pour certains virus) qui porte le code génétique de la vie sur Terre. En 1953, après des années de recherche, suite entre autres aux travaux de scientifiques comme Erwin Chargaff, Rosalind Franklin et du duo James Watson / Francis Crick, la structure de l’ADN en double hélice (sous forme bicaténaire) est révélée dans un article publié dans un des plus célèbres journaux scientifiques, la revue « Nature ».

Qu’est ce que l’ADN: Acide DésoxyriboNucléique

Il s’agit bien d’un acide, mais rien à craindre, les acides sont (la plupart du temps) bénéfiques, importants et essentiels à la vie. Bien sûr, il y a les célèbres acide sulfurique et acide chlorhydrique, qui peuvent être effectivement dangereux et très toxiques, mais il y a des tonnes d’autres acides beaucoup moins nocifs et « bons pour la santé ». Un exemple bien connu est l’acide acétique. Lorsqu’il est dilué (et parfois aromatisé), le vinaigre (son autre nom) peut être vraiment agréable pour les amateurs de bonne bouffe ou juste sur une « frite »!

En fait, de façon plus générale, le mot « acide » fait référence à une famille très vaste de composés chimiques/biochimiques. Il y a d’une part les acides « minéraux » (l’acide sulfurique par exemple) et d’autre part les acides « organiques », dont plusieurs sont essentiels à la vie, telle qu’on la connaît sur la Terre. En effet, en interagissant avec différentes molécules, plusieurs acides organiques (dont les acides aminés qui sont les blocs permettant de construire les protéines), servent dans la plupart des réactions chimiques importantes qui permettent à nos cellules (et donc à notre organisme au complet) de bien fonctionner.

L’ADN (et l’ARN, son comparse dont on parlera un peu plus loin), est en fait un type d’acide bien particulier qui représente une classe en lui-même; celui des acides nucléiques qui sont essentiels à la vie telle qu’on la connaît sur la Terre.

Fonction de l’ADN

Tout organisme transmet ses caractéristiques (principalement physiques mais aussi en partie « comportementales ») à sa descendance via ses gènes qui sont contenus dans les chromosomes (46 chez l’humain) qui eux sont faits d’ADN. Ces diverses caractéristiques sont la forme (du nez ou des oreilles), la structure (cheveux frisés ou lisses, ou la couleur des yeux), le métabolisme (on peut être bon ou moins bon dans un sport parce que on a une bonne capacité respiratoire ou pas), la capacité à se déplacer ou pas (dépendant si on est une plante ou un chien), la capacité d’accomplir certaines actions (courir très vite pour éviter de se faire attraper par un ours lors d’une randonnée en forêt) et d’interagir avec d’autres organismes (par exemple; la capacité de bien se défendre contre les maladies causées par des virus ou bactéries).

L’ensemble de l’ADN d’un organisme vivant (ou de l’ARN pour plusieurs virus) se nomme génome; c’est l’information génétique contenue dans chaque cellule d’un organisme vivant. Un gène c’est une petite portion d'ADN qui contient l’information précise qui détermine une caractéristique précise parmi celles nommées plus haut.

Figure 2. Le corps humain est composé d’environ 50 000 milliards de cellules. Il existe environ 200 types de cellules différentes mais chacun de ces types cellulaires contient exactement le même ADN sous forme de 46 fragments de chromatine (aussi appelés chromosomes), dans le noyau de la cellule. (Crédit : Pierre Paquin, Shutterstock).

Le génome c’est comme une encyclopédie de plusieurs milliers de pages où chaque page est un gène. Chez l’humain, cette encyclopédie est divisée en 46 livres et chacun de ces livres contient des milliers de pages (les gènes). On entend souvent le mot chromosome pour décrire les longs morceaux d’ADN (les livres de l’encyclopédie) qui se retrouvent dans nos cellules. Toutefois, en biologie, ce terme devrait être réservé au moment où les cellules se divisent, lorsque les longs filaments de chromatine (le vrai nom des fragments d’ADN dans nos cellules) se condensent et deviennent des chromosomes. Pierre L’Hérault, un célèbre professeur de l’Université de Montréal et de l’UQAM (oui, oui, ça se peut un prof qui enseigne à plus d’un endroit) nous avait déjà expliqué le phénomène d’une façon très imagée. Les filaments de chromatine sont comme des longs spaghettis dans le noyau des cellules et, au moment de la division cellulaire, ils s’enroulent sur eux-mêmes et deviennent comme de très courts macaronis. Il ajoutait; « c’est pas mal plus facile de bien séparer de petits macaronis que de longs spaghettis si on veut que tout soit bien réparti également dans les deux cellules-filles à la fin de la division cellulaire ». Pour illustrer à quel point ces filaments de chromatine sont grands, si on mettait bout à bout les 46 qui composent l’ADN humain, on aurait une longue molécule qui mesurerait environ… 2 mètres!

Plusieurs cellules de notre corps (ou de celui de n’importe quel organisme vivant) ne vivent pas très longtemps (quelques jours pour les cellules de la peau à quelques mois pour les globules rouges contenus dans notre sang) et doivent être remplacées. Pour ce faire, ces cellules subissent une division cellulaire qu’on appelle la mitose (figure 3), une des étapes d’un long processus qui se nomme « le cycle cellulaire », qui lui, dure environ 24 heures. Puisqu’on va éventuellement passer d’une cellule-mère à deux cellules-filles, durant le cycle cellulaire, l’ADN va devoir être dédoublé (répliqué) pour que chaque cellule-fille contienne à la fin toute l’information préalablement contenue dans la cellule-mère. Ce processus de dédoublement de l’ADN s’appelle la réplication et est fait par des enzymes (petites machines moléculaires qui sont capables de différentes fonctions dans nos cellules). Les enzymes qui répliquent l’ADN sont appelées « ADN polymérases » et c’est comme si ces machines faisaient une photocopie de l’encyclopédie au complet. C’est long à faire mais c’est essentiel pour que nos cellules puissent se diviser correctement et ensuite jouer leurs rôles pour que notre corps fonctionne bien. Un autre type de division cellulaire est propre aux cellules reproductrices (spermatozoïdes et ovules) et s’appelle méïose. C’est un processus un peu plus complexe mais qui ressemble tout de même beaucoup à la mitose.

Figure 3. La mitose est la phase du cycle cellulaire durant laquelle une cellule-mère se divise pour donner deux cellules-filles. En interphase, la cellule joue son rôle fonctionnel (par exemple, une cellule de la peau joue son rôle de protection) et le processus de division cellulaire est “sur pause”. Les phases suivantes (prophase à télophase) représentent des stades successifs où les chromosomes se déplacent pour éventuellement se répartir de façon égale dans les deux cellules-filles issues d’une seule cellule-mère. (Crédit : Pierre Paquin, Shutterstock).
Figure 4. Exemple de mitose chez l’oignon observée au microscope optique. Le noyau (qui contient l’ADN) n’est pas visible dans la majorité des cellules dans cette figure. La plupart de celles où ce noyau est visible sont en interphase et certaines sont dans différentes phases de la mitose tel qu’indiqué et illustré dans la figure 2. (Crédit : Pierre Paquin, Shutterstock).

En fait, comme nous (ou tout organisme vivant), chaque cellule de notre corps a besoin d’énergie et de nutriments pour survivre et effectuer un « travail » afin de jouer son rôle dans l’organisme. Pour ce faire, une cellule trouve l’information dont elle a besoin dans l’ADN. Toutefois, pour chaque travail particulier à accomplir, la cellule peut avoir besoin de l’information contenue dans un ou quelques gènes seulement. Dans ces circonstances, il serait donc compliqué (et inutile) de lire le génome (l’encyclopédie) au complet. Pour que ce soit plus simple et plus court, la cellule va seulement faire une copie de chaque gène dont elle a besoin à un moment donné; c’est un peu comme si on faisait une photocopie de chaque page dont on a besoin pour faire une recette. À l’aide de ces photocopies de gène qui varient d’un type de cellule à un autre, qu’on appelle les ARN messagers (ARNm), la cellule va ensuite pouvoir fabriquer différentes protéines, dont plusieurs enzymes (figure 5) et ce sont elles qui vont aider la cellule à jouer différents rôles importants et à remplir ses fonctions. C’est ce qui permet par exemple à une cellule de la peau de jouer son rôle de protection ou à une cellule nerveuse de pouvoir envoyer des signaux aux cellules musculaires du reste du corps pour qu’elles puissent faire bouger notre squelette afin de nous déplacer. 

Figure 5. Dans les cellules du corps humain, l’ADN (génome/encyclopédie) est séparé du reste de la cellule et se retrouve dans un compartiment spécial, le noyau. L’ARNm (ARN messager/photocopie de gène) est formé à partir de l’ADN (processus de transcription) et sort du noyau pour être traduit en protéine par les ribosomes (petites machines qui décodent l’information génétique). Ces ribosomes utilisent les acides aminés libres présents dans le cytoplasme de la cellule et les assemblent pour former les protéines qui correspondent à l’information génétique inscrite dans l’ARNm. (Crédit : Pierre Paquin).

La connaissance et l’étude approfondie des acides nucléiques ont permis de développer plusieurs champs d'application. En effet, les différentes méthodes d'analyse de l'ADN basées en bonne partie sur les techniques de PCR (Polymerase Chain Reaction, voir séquençage) et de séquençage permettent des choses qui étaient impensables auparavant.

Par exemple, en aidant à identifier des suspects grâce à des “signatures moléculaires” spécifiques à chaque individu, l’analyse de l’ADN aide les sciences judiciaires et de médecine légale à fournir des preuves supplémentaires aux enquêtes policières. Au niveau médical, le diagnostic moléculaire est possible grâce à une analyse méticuleuse de l’ADN qui permet d'identifier des mutations (des changements dans la séquence d’ADN) qui peuvent être associées au développement de maladies génétiques ou de cancers. Ce type de diagnostic peut (surtout dans le cas de certains cancers), permettre d’élaborer des traitements adéquats plus rapidement. L’analyse des acides nucléiques peut aussi permettre d’identifier des virus et des bactéries très rapidement et, encore ici, d’élaborer rapidement le meilleur traitement possible pour contrer une infection.

Exemple d’utilisation de l’ADN dans la taxonomie

L’étude approfondie des acides nucléiques permet de mieux comprendre comment il est possible d’identifier des groupes d’êtres vivants, et la façon dont ils ont évolué (et continuent d’évoluer) sur notre planète. En effet, lorsqu’on évoque que des nouvelles connaissances ont pu être obtenues grâce aux études de l’ADN, on réfère à des études qui ont utilisé des bouts de génomes (certains gènes) qui ont été séquencés (voir le blogue suivant : séquençage). Dans la plupart des cas, on se sert de l’ADN pour répondre à des questions sur des individus (ou des groupes d’individus, des espèces, etc) qui existent encore sur Terre. Par exemple, dans la taxonomie des scorpions, l’utilisation des techniques d’ADN a contribué à mieux définir les espèces parce que ces animaux sont très semblables d’une espèce à l’autre. Toutefois, il est aussi possible que de l’ADN soit trouvé dans des fossiles ! Encore plus surprenant, cet ADN est parfois tellement bien préservé qu’il est possible de le séquencer, comme chez les mammouths. On appelle ce type d’ADN, de l’ADN ancien, et il est facile de comprendre à quel point ces données génétiques peuvent nous aider à mieux comprendre ces animaux, puisqu’ils sont aujourd'hui disparus. 

Que l’ADN proviennent d’animaux encore présents sur la planète ou d’animaux disparus, les gènes visés dans ces études ne sont pas choisis au hasard, l’attention est portée sur des gènes que nous savons VARIABLES (grâce à d'autres études) et pertinents au but poursuivis. Le résultat de ce séquençage donne une suite de nucléotides A, T, C, et G pour un individu donné. Par exemple (figure 6) : 

Figure 6. Un petit bout d’une séquence de nucléotide d’un individu. (Crédit : Pierre Paquin).

Dans le cas présent, en supposant que nous débutons à la position 1, nous avons réussi à savoir quelle est la composition pour les 38 premières positions de ce gène. Pour chaque position il y a 4 possibilités, soit un des 4 nucléotides : A, T, C, ou G. Par exemple: à la position 8 il y a un g, pour la position 9, il y a un g, etc. Cette petite séquence est en fait une minuscule portion de génome. Pour l’humain par exemple, cette suite de nucléotides contient 3,2 milliards unités de long (95% identique au rat, 99% au chimpanzé; inutile de mettre de l'emphase sur l'importance sur ce 1%). Dans les analyses d’ADN en général, seules quelques sections du génome sont utilisées, quoiqu’avec l'avancement des techniques pour produire des séquences, les génomes entiers sont de plus en plus communément utilisés. La plupart des avancées dans la connaissance des espèces se fait en comparant diverses séquences d’ADN. Le principe de base de ce type d’étude, qu’on nomme phylogénétique, est que les différences dans la composition de cette suite de nucléotides sont moindres au sein d’un même groupe qu'entre deux groupes qui sont différents. Par exemple, la variation génétique est moindre au sein d’une espèce qu’entre deux espèces différentes: la différence génétique entre deux félins est moindre qu’entre un félin et un chien par exemple. Si on compare une séquence pour un gène donné de 16 individus différents, nous remarquons que les positions 26 à 31 ne sont pas identiques pour tous les individus. De plus, les positions 10 à 15 de l’individu 14 diffèrent des autres (figure 7).

Figure 7. Des séquences de nucléotides de 16 individus sont comparées. Certains de ces individus montrent de la variation pour les positions 12 à 15, et 26 à 31. (Crédit : Pierre Paquin).

C’est à partir de ces différences dans l’information génétique que nous pouvons commencer à analyser et interpréter ces différences. Sans nous encombrer dans les détails méthodologiques, et en prenant une situation simple comme exemple, les analyses résultent en des figures appelées dendrogrammes. Cette figure se lit de gauche à droite et on nomme les traits des “branches”. On nomme aussi ces figures “arbres” à cause de la similitude avec les arbres : un tronc qui se divise en grosses branches qui se divisent en branches plus fines. Avec les données de la figure 7, on obtiendrait le dendrogramme suivant (figure 8). Tous les individus ont un bagage génétique commun (branche A), mais les individus 8, 11 et 14, ont cumulé des différences pour les positions 25 à 31, ce qui les distingue des autres individus (branche B). Ensuite, nous constatons que l’individu 14 a aussi cumulé des différences pour la portion de 10 à 15, ce qui le positionne sur une branche branche C, isolée de la branche D qui contient les individus 8 et 11. 

Figure 8. Un dendrogramme obtenu à partir des données de la figure 7. Les individus 8, 11 et 14, sont positionnés sur des branches différentes en fonction des différences observées dans la séquence de nucléotides. (Crédit : Pierre Paquin).

Il est possible de mesurer et de reconstruire des arbres phylogénétiques qui représentent la similarité (ou la différence) entre les différentes séquences obtenues, en fonction des différences obtenues dans les séquences génétiques. Dans l’exemple ci-dessous, il serait possible que les séquences proviennent de mammifères de trois espèces différentes : le chat domestique (individus 8 et 11) (Felis catus Linnaeus 1758), la panthère (individu 14) (Acinonyx jubatus Brookes 1828) et les chiens (Canis familiaris Linnaeus 1758), représentés par “tous les autres individus”. Notons que sur la figure 9, les deux espèces qui appartiennent à la famille des Felidae (félins) sont plus similaires entre elles qu’avec le Canidae (chien). TOUTEFOIS, il est important de mentionner que l’exemple donné ici avec quelques nucléotides est loin d’être représentatif des données qui sont réellement nécessaires pour aborder les relations entre les espèces. Dans cet exemple de la figure 7, il y a trop peu de données pour en tirer quoi que ce soit. Une meilleure représentation inclurait des milliers de nucléotides, provenant de plusieurs gènes différents pour arriver à un dendrogramme comme celui de la figure 9. Mais le principe est essentiellement le même, c’est-à-dire de comparer la similitude et les différences entre différentes séquences pour lesquelles nous examinons la suite de nucléotides, dans une une portion correspondante du génome. 

Figure 9. Le même dendrogramme qu’à la figure 3, mais cette fois-ci avec différentes espèces animales, à titre d’exemples. (Crédit : Pierre Paquin).

Avec les outils de nature génétique, il existe une panoplie d'approches qui visent certains gènes ou différentes portions de génomes en fonction de la question qui se pose. Si on a assez de données (longueur de la séquence, nombre de gènes utilisés, variabilité nécessaire dans un gène etc), on peut y répondre adéquatement. Nous donnons quelques exemples réels ici, dans le but d’illustrer les multiples usages possibles. Par exemple, dans l’étude des moas, les divers fossiles trouvés avaient suggéré l’existence d’une dizaine d’espèces différentes. Toutefois, deux espèces étaient suspectes parce que dans un cas, on ne connaissait que des femelles de l’espèce #1, et dans l'autre que des mâles de l’espèce #2. L’ADN ancien a pu être utilisé et a démontré qu’il n'y avait aucune différence génétique entre l’espèce 1 et l’espèce 2. L’interprétation de cette étude est que pour les moas de cette espèce, il existe un dimorphisme sexuel, c'est-à-dire que les mâles et les femelles ne se ressemblent pas même s' ils appartiennent à la même espèce. Un peu comme si on avait dit que les coqs forment une espèce et les poules une autre. L'erreur est compréhensible si les seules informations disponibles sont les fossiles. Avec l’ADN le mystère a été résolu. Un autre exemple: des entomologistes avaient remarqué que des cigales chantaient sur une fréquence différente des autres cigales d’une région donnée. Des données d’ADN et une étude plus approfondie de la morphologie des insectes ont révélé qu’il ne s’agissait pas d’une seule, mais deux espèces distinctes. La concordance entre les résultats génétiques et l’analyse des insectes par des taxonomistes ne laissent aucun doute sur le fait que ce sont des espèces distinctes.

D’autres applications

Un fait fascinant dans l’étude des données d’ADN est qu’il est possible de donner une directionnalité aux changements génétiques observés. Comme tous les êtres vivants possèdent un génome, et que ce génome est une version qui est légèrement transformée d’une version plus primitive, il est possible d’inférer quelle est la version la plus ancienne et quelle est la plus dérivée à partir d’un ancêtre commun. Les informations tirées de données génétiques sont aussi utilisées pour déterminer quelles sont les espèces les plus similaires (apparentées). Par exemple, l’ADN ancien du Mammouth laineux [† Mammuthus primigenius (Blumenbach 1799)] a été séquencé avec succès et il a été démontré que les mammouths ne sont pas les ancêtres des éléphants, mais qu’ils sont plus similaires aux Éléphants d’Asie (Elephas maximus Linnaeus 1758) qu'aux Éléphants d’Afrique [Loxodonta africana (Blumenbach 1797)]. En général, on considère que les gènes qui présentent une variabilité qui donne un signal génétique qui correspond à une différence d’espèces proches parentes, présentent des taux de divergences qui se situent entre 3 et 10 %. Toutefois au sein d’une même espèce, la proportion de variations est en deçà de cette mesure, ce qui mène à d'autres applications tout aussi intéressantes. Par exemple, chez l’être humain, grâce à une connaissance complète du génome, certaines positions dans la séquence de nucléotides sont connues pour être variables. En effet, malgré une très grande similitude, aucun humain ne possède EXACTEMENT le même génome. Ils sont équivalents, mais pas identiques; ce sont de petites différences tout à fait normales entre les individus d'une même espèce. Toutefois, ces positions variables, appelées aussi zone de polymorphismes, peuvent être mises à profit dans un autre type de quête. Une position du génome peut être occupée par n’importe quel nucléotide (A, T, C, et G). Par exemple à la position #5000, nous pouvons théoriquement conclure qu’en considérant l’ensemble de la population de la Terre, 25% de la population mondiale aura un A à la position 5000, 25% de la population mondiale aura un T à la position 5000, 25% de la population mondiale aura un C à la position 5000 et 25% de la population mondiale aura un G à la position 5000.

Si nous savons que le coupable d’un crime possède un T à la position 5000, cela élimine du coup 75% de la population mondiale: un A = ¼, rejet du ¾ de la population mondiale (ceux qui ont des T, C et G). Mais cela fait encore beaucoup de suspects à éliminer ! Il faudra alors se tourner vers un deuxième site qu’on sait variable pour les humains : le site 10 000 ! Notre coupable possède un T à la position 10 000, ce qui élimine cette fois-ci encore 25% de la population mondiale… MAIS combien de personnes possèdent À LA FOIS un A à la position 5000 et un T à la position 10 000 ? le cumul des probabilités ¼ (position 5000) x ¼ (position 10 000) : 1 personne sur 16 seulement ! Ajoutons un troisième site polymorphique : la position 15 000 ! Notre suspect possède un C, donc la probabilité d'avoir la combinaison A, T, C (position 5000, 10 000 et 15 000) est donc de ¼ x ¼ X ¼ = 1 chance sur 64 ! Ajoutons un quatrième site polymorphique : la position 20 000 ! Notre suspect possède un G, donc la probabilité d'avoir la combinaison A, T, C, G ( position 5000, 10 000, 15 000 et 20 000) est donc de ¼ x ¼ x ¼ x ¼ = 1 chance sur 256 ! 

En complétant cette démarche jusqu’à avoir 15 sites polymorphiques :

1 site 1 chance sur 4
2 sites 1 chance sur 16
3 sites 1 chance sur 64
4 sites 1 chance sur 256
5 sites 1 chance sur 1024
6 sites 1 chance sur 4096
7 sites 1 chance sur 16 384
8 sites 1 chance sur 65 536
9 sites 1 chance sur 262 144
10 sites 1 chance sur 1 048 576
11 sites 1 chance sur 4 194 304
12 sites 1 chance sur 16 777 216
13 sites 1 chance sur 67 108 864 
14 sites 1 chance sur 268 435 456
15 sites 1 chance sur 1 073 741 824

Il y a donc une chance sur plus d’un milliard que deux individus possèdent la même combinaison génétique pour ces 15 sites variables. En connaissant quels sont les nucléotides pour ces 15 sites variables de celui qui a commis un crime,  il devient facile de comparer avec celui qui est suspect. Avec cette courte explication, nous venons de donner la base de l’utilisation dans les sciences judiciaires, et du fait même de comprendre les innombrables films et séries qui utilisent cette précieuse source de données. Toutefois, il convient de souligner que notre exemple est une simplification de la réalité. En effet, en sciences judiciaires, les calculs de probabilité et les différentes combinaisons de nucléotides utilisées dans ce type d’analyse sont encore plus complexes. En plus de ces sites variables, on utilise aussi des répétitions de nucléotides qui surviennent au hasard dans la séquence génome d’un individu, ce qui diminue d’autant plus la possibilité que deux individus différents possèdent des “répétitions” identiques.

Avec le progrès des techniques et des connaissances en général, cette science est tellement puissante qu’elle a réussi à contribuer dans un nombre impressionnant de disciplines scientifiques.

Auteur : Marc Desforges & Pierre Paquin

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Publié 
11/9/2023
 dans la catégorie 
Fractalis