La distinction entre Parasteatoda tabulata (Levi 1980) et Parasteatoda tepidariorum (C.L. Koch 1841)
(Araneae : Theridiidae)

L. Lapointe (1), P. Paquin (2)
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2. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com

Figure 1. Génitalia mâle, P. tabulata, pédipalpe, vue ventro-latérale.

Les araignées qui possèdent des motifs, des teintes ou des colorations très semblables (ou très variables) rendent difficile la détermination de l'espèce. Paquin & Arbour (2021a, b) ont montré qu'une même espèce peut être variable au point de penser qu'il s'agit de taxons différents. Par exemple, Araneus marmoreus Clerck 1757 possède des motifs tellement variables qu'ils laissent supposer des espèces différentes. Pour Cicurina brevis (Emerton 1890), c'est la translucidité de l'abdomen qui génère une variation qui laisse supposer des différentes espèces. La situation contraire est aussi possible, particulièrement dans la famille des Linyphiidae, où plusieurs espèces possèdent un aspect identique, mais appartiennent à des espèces différentes. Dans tous ces cas, c'est l'examen de caractères morphologiques précis, particulièrement les génitalia, qui permet de poser une diagnose et de trancher la question de l'identification.

Dans cet article, nous examinons deux araignées très semblables de la famille des Theridiidae : Parasteatoda tabulata et Parasteatoda tepidariorum. Ces deux espèces étaient placées dans le genre Achaearanea jusqu'à ce que Saaristo (2006) retire Parasteatoda de la synonymie d'Achaearanea et y transfère A. tepidariorum. Deux ans plus tard, Yoshida (2008) a transféré A. tabulata dans Parasteatoda, et cette position est celle qui prévaut aujourd'hui (WSC 2022).

Ces deux araignées sont communes au Québec et qualifiées de synanthropes, c'est-à-dire qu'elles sont fréquemment associées aux humains et leurs habitations (Paquin et al. 2022). Bien que les deux soient introduites au Canada (Paquin et al. 2010), P. tepidariorum est connue en Amérique du Nord depuis au moins 1850 et est probablement originaire d'Amérique du Sud (Levi 1955, 1963). Le premier spécimen de P. tabulata en Amérique du Nord a été récolté en 1976 dans l'État de New York et Levi (1980) a décrit cette espèce d’après cette femelle. Dondale et al. (1994) rapportent la première mention canadienne récoltée en 1987 à Aylmer, au Québec. L'origine de cette espèce est encore incertaine, mais le WSC 2022 mentionne l'Asie tropicale. Au Québec, les deux espèces se trouvent dans le même type d'habitat et sont probablement des espèces compétitrices. Depuis sa première mention dans le sud-ouest de la province en 1987, P. tabulata est en rapide progression vers le nord; elle était déjà connue de Port-au-Saumon (Charlevoix) en 2001 (Turcotte et al. en préparation). Il est possible que P. tabulata provoque le déplacement écologique de P. tepidariorum, comme rapporté pour Steatoda borealis (Hentz 1850) qui a été déplacée par Steatoda bipunctata (Linnaeus 1758), une espèce introduite plus récemment en Amérique du Nord (Nyffeler et al. 1986). La limite de la répartition géographique des deux espèces de Parasteatoda est inconnue, mais les données disponibles laissent supposer que P. tepidariorum est restreinte au sud de la province. Cependant, pour documenter la biologie d’une espèce, la première condition à remplir est la juste détermination de l’espèce en cause. Bien que la taille de P. tabulata soit légèrement inférieure à celle de P. tepidariorum, les deux espèces sont à la fois variables et semblables, et il n'est possible de les distinguer qu’avec l'examen des génitalia. Sur une photographie prise en nature, il est parfois possible de voir le conducteur de l'embolus qui est saillant (flèche rouge, fig. 2), mais l'angle permet rarement d'arriver à une détermination de l'espèce. La figure 1 montre également le palpe du mâle, mais cet angle ne permet pas non plus la détermination de l'espèce.

Figure 2. Mâle et femelle Parasteatoda sp. Le conducteur saillant du palpe mâle permet de reconnaître le genre, mais pas l'espèce.

Dans les planches de Paquin & Dupérré (2003) (fig. 3), les angles des structures illustrées ont été choisis en fonction des caractères qui permettent de distinguer les espèces. Dans le but de tester, de comparer et compléter l'information procurée par ces planches, nous avons préparé divers spécimens des deux espèces à des fins de photographie d'empilement (stacking). Les structures mâles ont été dissociées de l'animal en alcool, puis plongées en entier dans une gouttelette de gel lubrifiant. Cette substance permet le positionnement de la structure dans l'angle désiré et ce positionnement demeure stable, ce qui permet la prise de photographies. Une fois les photographies terminées, la structure est transférée dans de l'eau pendant quelques minutes pour dissoudre les résidus de gel, puis elle est replacée avec le spécimen dans la fiole avec de l'éthanol 70%. Les photographies des structures femelles ont été prises en trois temps. 1) Le génitalia est photographié tel que visible sur le spécimen (fig. 5a–b). 2) Le génitalia est disséqué en alcool, puis transféré dans l'acide lactique pour éclaircir/dissoudre les tissus et les autres matières non sclérifiées. Une fois éclairci, le génitalia est positionné dans une gouttelette de gel, en vue ventrale (fig. 5e–f). 3) Le génitalia est ensuite positionné en vue dorsale pour une dernière série de photographies (fig. 5g–h). Une fois les photographies complétées, la structure est transférée quelques minutes dans de l'eau pour dissoudre les résidus de gel, puis replacée avec le spécimen dans la fiole. Les photographies ont été prises avec un appareil Canon© muni d'un objectif 10x et monté sur rail motorisé Wemacro©. Les photographies ont ensuite été empilées avec le logiciel Helicon.

Figure 3. Génitalia. 3a) P. tabulata, palpe mâle, vue ventrale, 3b) P. tabulata, épigyne, vue ventrale, 3c) P. tepidariorum, palpe mâle, vue ventrale, 3d) P. tepidariorum, épigyne, vue ventrale. Tiré de Paquin & Dupérré (2003). Les flèches rouges réfèrent à l'apex du conducteur, la flèche bleu réfère au sillon entre l'apophyse médiane et la base du conducteur. La forme approximative de l'atrium de l'épigyne est rapportée pour mieux en observer la forme.

La comparaison des planches (fig. 3a, c) et des génitalia mâles (fig. 4a–b) montrent des caractères évidents pour la distinction des deux espèces. L'apex du conducteur forme un angle de 90° chez P. tabulata, tandis qu'il est plutôt arrondi pour P. tepidariorum. Il est à noter cependant, que cette forme n'est visible qu'en vue ventrale (fig. 3a, 4a); une légère rotation du palpe ne permet pas d'évaluer correctement la forme de l'apex (fig. 1). C'est toutefois le caractère du sillon entre l'apophyse médiane et la base de l'embolus (voir Levi 1955 pour la terminologie, flèche bleu fig. 3c, 4b) présent chez P. tepidariorum et absent chez P. tabulata, qui permet de trancher le plus facilement pour la détermination de l'espèce.

Figure 4. Génitalia mâles, pédipalpes. 4a) P. tabulata, vue ventrale, 4b) P. tepidariorum, vue ventrale.

Pour les femelles, la situation est plus complexe. L'examen des planches de la figure 3 montre que la forme de l'atrium de P. tabulata est presque circulaire tandis que celui de P. tepidariorum est plutôt en forme d'ellipse. L’utilité de ce caractère est confirmée par les figures 5a–d, mais l'examen de plusieurs spécimens montre que la variabilité peut mener à de la confusion. Par exemple, la forme de la figure 5c est pratiquement identique à celle de la figure 5h, mais ces deux figures proviennent de deux espèces différentes. La difficulté dans ce cas, est d'établir correctement la forme de l'épigyne, particulièrement la marge supérieure qui est en continuité avec la surface de la chitine. Souvent, l'examen d'un seul spécimen donne l'impression d'être le parfait intermédiaire des deux formes, ce qui ne permet pas d’arriver à une détermination fiable. Dans de tels cas, il convient d'utiliser les caractères internes du génitalia, qui permettent de distinguer les deux espèces facilement. La vue ventrale de l'épigyne éclaircie (fig. 5e–f) montre une structure sclérifiée cordiforme qui diffère chez les deux espèces. Cependant, c’est la vue dorsale (fig. 5i–j) qui procure un caractère facile à observer. Les réservoirs séminaux de P. tabulata sont couplés à des poches sombres (flèche bleu, fig. 5i), tandis que cette structure est complètement absente pour P. tepidariorum (fig. 5i). Selon Levi (1980), il s'agit du seul caractère qui permet la distinction fiable des femelles de ces espèces.

Figure 5. Génitalia femelles. 5a) P. tabulata, épigyne, vue ventrale, 5b) P. tepidariorum, épigyne, vue ventrale, 5c) P. tabulata, contour de l'atrium 5d) P. tepidariorum, contour de l'atrium, 5e) P. tabulata, épigyne éclaircie vue ventrale, 5f) P. tepidariorum, épigyne éclaircie, vue ventrale, 5g) P. tabulata, contour de l'atrium 5h) P. tepidariorum, contour de l'atrium, 5i) P. tabulata, épigyne éclaircie, vue dorsale, 5j) P. tepidariorum, épigyne éclaircie, vue dorsale.

La dissection et le traitement des épigynes avec un agent éclaircissant est une étape nécessaire à la détermination des espèces d'araignées. Avec un peu d'expérience, ces opérations deviennent routinières et permettent d'atteindre le niveau de fiabilité désiré.

Avec des identifications fiables, il sera possible de déterminer les répartitions géographiques respectives de ces espèces au Québec, lesquelles sont obscures à cause de l'incertitude qui entoure la détermination des espèces. Il sera aussi possible de vérifier les propos de Yoshida (1983), Moritz et al. (1988), Knoflach (1991) et Dondale et al. (1994) concernant les toiles de ces araignées. Parasteatoda tabulata fabrique une retraite en soie vers le centre dans la toile et y accroche des débris et des restants de proies. Selon Dondale et al. (1994), P. tepidariorum n’ajoute pas de tels débris dans sa toile. Il se pourrait bien que ce trait comportemental constitue un indice qui permette de soupçonner quelle espèce de Parasteatoda est présente sur le terrain. La récolte de spécimens et l'examen des structures génitales permettront de vérifier cette intéressante hypothèse.

Remerciements

Nous remercions Guillaume Beaudoin et Gilles Arbour pour la révision du texte et Esther Bilodeau pour son accueil, ses commentaires et la révision de cet article.

Références

Dondale CD, Redner JH, LeSage L. 1994. A Comb-footed Spider, Achaearanea tabulata, new to the fauna of Canada (Araneae: Theridiidae). Journal of Arachnology 22:176–178.

Knoflach B. 1991. Achaearanae tabulata Levi, eine für Österreich neue Kugelspinne. (Arachnida, Aranei: Theridiidae). [Achaearanae tabulata Levi, a spider new for Austria (Arachnida, Aranei: Theridiidae)]. Berichte des Naturwissenschaftlich-Medizinischen Vereins in Innsbruck 78:59–64.

Levi HW. 1955. The spider genera Coressa and Achaearanea in America north of Mexico (Araneae, Theridiidae). American Museum Novitates 1718:1–33.

Levi HW.1963. American spiders of the genus Achaearanea and the new genus Echinotheridion (Aranae, Theridiidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 129:187–240.

Levi HW. 1980. Two new spiders of the genera Theridion and Achaearanea from North America (Araneae: Theridiidae). Transactions of American Microscopical Society 99:334–337.

Moritz M, Levi HW, Pfüller R. 1988. Achaearanea tabulata, eine für Europa neue Kugelspinne (Araneae, Theridiidae). Deutsche entomologische Zeitschrift 35:361–367.

Nyffeler M, Dondale CD, Redner JH. 1986. Evidence for displacement of a new North American spider, Steatoda borealis (Hentz), by the European species S. bipunctata (Linnaeus) (Araneae: Theridiidae). Canadian Journal of Zoology 64:867–874.

Paquin P, Arbour G. 2021a. Variations sur un thème (1) : Araneus marmoreus Clerck 1757 (Araneidae). Hutchinsonia 1:58–59.

Paquin P, Arbour 2021b. Variations sur un thème (2) : Cicurina brevis (Emerton 1890) (Hahniidae). Hutchinsonia 1:86–87.

Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.

Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d'identification des araignées du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.

Saaristo MI. 2006. Theridiid or cobweb spiders of the granitic Seychelles islands (Araneae, Theridiidae). Phelsuma 14:49–89.

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Yoshida H. 2008. A revision of the genus Achaearanea (Araneae: Theridiidae). Acta Arachnologica 57:37–40.

Publié 
2022
 dans la catégorie 
Arachnides