Première mention d'Erigone dentosa (O. Pickard-Cambridge 1894) (Araneae : Linyphiidae) au Québec
S. Paradis (1), P. Paquin (2)
1. Université du Québec à Montréal, Département des Sciences biologiques, 141 Avenue du Président-Kennedy, Montréal, QC, H2X 1Y4, Canada. Courriel : paradis.simon@uqam.ca
2. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
Résumé. Nous rapportons la première mention d'Erigone dentosa (O. Pickard-Cambridge 1894) au Québec. Cette espèce était connue de l'Ouest de l'Amérique du Nord avant d'être récemment rapportée dans l'État de New York. Les données de capture sont détaillées et les caractères permettant la détermination de l'espèce sont reproduits. Erigone dentosa n'est pas connue comme une espèce synanthrope, mais les connaissances actuelles ne permettent pas d’exclure ou de confirmer le concours des humains dans son arrivée.
Mots clés. araignées du Québec, nouvelle mention, espèce synanthrope, espèce urbaine.
Abstract. We present the first record of Erigone dentosa (O. Pickard-Cambridge 1894) in Quebec. This species was known only in the western portion of North America, until recently reported in the state of New York. Collection data are detailed, and morphological characteristics used for species identification are depicted. Erigone dentosa is not typically synanthropic and it remains unknown whether its arrival is a result of human activity or not.
Keywords. spiders of Quebec, species introduction, synanthropic species, urban species.
Introduction
Erigone dentosa est une espèce néarctique décrite par O. Pickard-Cambridge (1894) d'Antigua (Guatemala). Elle a été décrite à nouveau par Banks (1904) sous le nom Erigone californica (et citée de plusieurs localités en Californie), puis par Crosby (1905) sous le nom Erigone plicita également de Californie.
Crosby & Bishop (1928) ont établi la synonymie d'E. californica et E. plicita sous E. dentosa, ajoutant des localités de Californie, mais également les États de Washington et de l'Utah à sa répartition géographique. Buckle et al. (2001) ont fait la synthèse de la distribution de l'espèce [Guatemala, Mexique, CA, OR, WA, UT, WY] en rapportant une première mention au Canada de Colombie-Britannique (tirée de Blades & Maier 1992). Dans la liste canadienne, Paquin et al. (2010) ont ajouté l'Alberta, confirmant les affinités de l'espèce pour la portion ouest du continent.
En 2014 cependant, Ovtcharenko et al. ont publié une première mention de l'est du continent, dans l'État de New York. Dans la même période, elle a aussi été signalée en Europe : en Belgique (Kekenbosch & Baert 2013), dans la péninsule ibérique (Arco et al. 2019), et en Allemagne (Unruh 2020). Nous rapportons ici la première mention d'E. dentosa au Québec, qui semble en pleine expansion dans la dernière décennie.
Résultats
Données de récolte
CPAD: Collection Paquin et Dupérré (Shefford).
Erigone dentosa (Linyphiidae)
CANADA : Québec : Communauté urbaine de Montréal : Pavillon des Sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) [45.5100, -73.5689], dans une chambre de croissance, chasse à vue, S. Paradis, 1, 20.xi.2018 • S. Paradis, 3, 2, fin 2019 ou début 2020 (avant le 18 mars 2020) • serre, chasse à vue, S. Dallaire/S. Paradis, 1, 19.x.2020 (CPAD).
Discussion
L'identification des araignées est possible grâce à la présence de caractères morphologiques propres à chacune des espèces. Ces caractères se trouvent habituellement dans les détails des génitalia mâles et femelles. Erigone dentosa se distingue par les génitalia (fig. 1–2), et particulièrement par un caractère facile à observer pour le mâle : le tibia du palpe possède une projection en forme d'épine saillante sur la surface ventrale (flèche, fig. 1). Ce caractère a été remarqué dès 1894 par O. Pickard-Cambridge et aurait pu être présent chez plusieurs espèces, mais Miller (2007) a récemment confirmé la valeur diagnostique de cette épine (VTP, ventral tibial process) pour E. dentosa.
Les araignées ont été récoltées dans une chambre de croissance et une serre qui constituent des habitats aux conditions artificielles de température et d'humidité. Paquin et al. (2008) ont fait état d'araignées exotiques établies dans les écosystèmes artificiels du Biodôme de Montréal introduites avec des plantes importées de Floride. Les spécimens d'E. dentosa récoltés ont profité de ces conditions artificielles, mais cet habitat n'explique pas cette arrivée sur notre territoire puisque les plantes, mousses et échantillons de sol qui s'y trouvaient proviennent du Québec.
Certaines espèces nouvellement trouvées dans la province sont connues pour leur étroite relation avec les humains, ce qui mène à une hypothèse réaliste à propos de leur arrivée ou de leur propagation [Scytodes thoracica (Latreille 1802) Paquin & Lebrun (2021); Trachelas tranquillus (Hentz 1847), Paquin & Nicolaescu (2018), Paquin & Arbour (2021a)]. En plus d'affinités synanthropes, d'autres espèces introduites sont connues pour leurs affinités avec les environnements urbains [Dysdera crocata C.L. Koch 1838, Paquin & Nicolaescu (2018); Pholcus phalangioides (Fuesslin 1775), Cheiracanthium mildei L. Koch 1864, Paquin & Dupérré (2003)]. Dans d'autres cas cependant, les espèces introduites d'Europe nouvellement répertoriées au Québec ne sont pas connues pour avoir de telles affinités [Erigone dentipalpis (Wider in Reuss 1834) Desaulniers et al. (2019); Phrurolithus festivus (C.L. Koch in Herrich-Shäffer 1935) Paquin & Arbour (2021b)]. Pour ces introductions, les mécanismes expliquant leur arrivée demeurent mystérieux
Bien qu'E. dentosa soit signalée de milieux artificiels, dans un contexte urbain et dans des établissements humains, rien de connu dans la biologie de cette araignée ne suggère d'affinités avec les humains ou les villes. La présence d'E. dentosa dans l'État de New York laisse plutôt entrevoir une extension d'aire de distribution effectuée naturellement, sans le concours de conditions dues à des milieux artificiels
Erigone dentosa a été nouvellement trouvée dans plusieurs pays d'Europe, ce qui est l'inverse de la situation habituelle où des espèces européennes sont introduites en Amérique du Nord. Unruh (2020) mentionne que les premiers spécimens trouvés en Allemagne ont été capturés dans un milieu de croissance, mais ne propose pas non plus d'hypothèse pour leur introduction.
Nous espérons que cette contribution attirera l'attention sur cette nouvelle arrivée au Québec et que de futures captures permettront de préciser ses affinités pour des conditions urbaines et artificielles ou confirmeront une présence dans les milieux naturels.
Remerciements
Nous remercions Claude Simard et Geneviève Duchesne pour leur révision d'une première version de cet article et Julyen Renaud pour la version anglaise du résumé.
Références
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