Redécouverte de Nemastoma bimaculatum (Fabricius 1775) (Opiliones : Nemastomatidae) sur le Mont Royal

D. Marullo-Masson (1), J. Charron(2)
1. Montréal, QC, Canada. Courriel : dominique.marullomasson@gmail.com
2. Québec, QC, Canada. Courriel : jonathan.charron894@gmail.com

Résumé. Nous rapportons une nouvelle mention de l’opilion Nemastoma bimaculatum (Fabricius 1775) sur le Mont Royal. Il s’agit de la deuxième mention de cette espèce, plus de quarante ans après celle de L. LeSage au même endroit. L’historique des mentions au Québec et les affinités écologiques sont abordés.
Mots clés. espèce introduite, milieux urbains, nouvelle mention, opilions du Québec.

Abstract. We present a new record of Nemastoma bimaculatum (Fabricius 1775) from Mont Royal. This is the second record of this species of harvestmen, more than forty years after LeSage’s record at this location. Historical records in Quebec and ecological affinities are provided.
Keywords. introduced species, urban areas, new record, harvestmen of Quebec.

Introduction

L’investigation des milieux naturels en région urbaine est propice à la découverte d’espèces introduites. Par exemple, en 2018 et en 2019, plusieurs spécimens du ver plat Bipalium adventitium (Hyman 1943) ont été récoltés à Montréal, dans un boisé du Mont Royal (Justine et al. 2019). La présence de l’opilion Nemastoma bimaculatum (Fabricius 1775) sur le Mont Royal rappelle l’universalité de ce phénomène.

Au Québec, les opilions sont représentés par les sous-ordres Eupnoi et Dyspnoi. Parmi les Eupnoi, il y a deux espèces de Caddidae : Caddo agilis (Banks 1892) et Caddo pepperella (Shear 1975) (Bishop 1949, Koponen 1995, Groh & Giribet 2015). Ces petits opilions, dotés d’un grand ocularium, vivent au sol et sont rarement collectés (Shear 1975a). On retrouve également dans ce sous-ordre la super-famille Phalangioidea, qui compte au Québec les familles Phalangiidae et Sclerosomatidae. Le Phalangiidae Phalangium opilio (Linnaeus 1758) est l’opilion avec la plus large distribution dans le monde et peut être couramment rencontré dans les habitats perturbés par l’activité humaine (Cokendolpher & Holmberg 2018). Les Sclerosomatidae sont principalement représentés au Québec par le genre Leiobunum (C. L. Koch 1839). Quant au sous-ordre Dyspnoi, il regroupe des opilions généralement petits et à la morphologie variable. Le Québec en compte plusieurs familles, comme les Acropsopilionidae, les Sabaconidae et les Nemastomatidae (Shear 1975a, 1975b, Paquin & Brodeur 2018).

Nemastoma bimaculatum est une espèce de Nemastomatidae commune en Europe. Toutefois, au Québec, sa présence n’a été confirmée que dans deux localités à ce jour. La première mention remonte au 30 avril 1975, où deux mâles et une femelle de cette espèce ont été collectés par L. LeSage sur le Mont Royal (LeSage 1977). Plus récemment, le 24 septembre 2018, une femelle a été récoltée par P. Paquin et J. Brodeur dans la litière forestière à Frelighsburg (Paquin & Brodeur 2018). Ailleurs au Canada, N. bimaculatum a été récolté à Toronto par W. Ivie et T. B. Kurata en 1945 et 1946, tel que mentionné par W. A. Shear en 1986 et répété par le même auteur en 2016 (Shear 1986, 2016). Le site Internet de la Collection Nationale du Canada (CNC) ne mentionne que la collecte par O. Krepinsky d’une femelle à Port Williams, en Nouvelle-Écosse, le 22 octobre 1979 (voir références). Certaines observations photographiques d’opilions du genre Nemastoma, rapportées sur des pages Web de science citoyenne (BugGuide, iNaturalist et Facebook), suggèrent leur présence ailleurs au Québec, de même qu’au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. Ces mentions, qui sont dignes d’intérêt, démontrent qu’il est important de continuer à échantillonner afin de confirmer leur présence en ces lieux par une méthodologie rigoureuse.

Cet opilion se reconnaît facilement par sa taille réduite, son corps uniformément noir et la présence de deux taches blanches qui ornent son céphalothorax (fig. 1). Il existe un dimorphisme sexuel chez cette espèce : les mâles se distinguent extérieurement des femelles par la présence d’une apophyse antéro-dorsale sur le segment basal des chélicères et celle d’une bosse postéro-dorsale sur le tibia des pédipalpes (Hillyard & Sankey 1989). La meilleure façon de déterminer le sexe d’un spécimen reste néanmoins l’examen des génitalia au stéréoscope.

Une seconde espèce européenne similaire, Nemastoma lugubre (Müller 1776), n’est pas connue de la faune américaine, mais pourrait être confondue avec N. bimaculatum. Une confusion a longtemps régné au sein du genre Nemastoma, lequel a été révisé par J. Gruber et J. Martens (1968). La structure pénienne mâle permet de distinguer les deux espèces : celle de N. bimaculatum est dotée de plusieurs petites épines latérales distales alors que celle de N. lugubre ne présente qu’une seule épine de grande dimension de chaque côté (Wijnhoven & Koomen 1997). La coloration n’est pas un critère fiable pour l’identification de l’espèce puisqu’il s’agit d’un attribut trop variable.

Matériel et méthodes

L’examen des génitalia des opilions s’effectue idéalement sous un stéréoscope. Afin d’y accéder, il est nécessaire de soulever l’opercule génital, situé ventralement, qui est analogue à une trappe s’ouvrant antérieurement. Chez les opilions du genre Nemastoma, cette manipulation s’avère difficile en raison de la sclérification du corps. Si l’opercule n’est pas bien dégagé, des incisions peuvent être pratiquées pour faciliter l’accès. Une fois l’opercule génital soulevé, les structures génitales sont extraites délicatement avec une pince souple.

Résultats

Le 6 mai 2018, un mâle de l’espèce N. bimaculatum a été découvert par D. Marullo-Masson dans la litière forestière sous un morceau de bois, sur le Mont Royal. Il s’agit d'une première mention de cette espèce sur le Mont Royal en 43 ans. Le 15 août 2021, deux mâles et une femelle ont été récoltés par Thomas Théry au même endroit. Cette mention a été ajoutée aux données publiées pour créer la liste présentée ci-dessous, qui résume les récoltes de l’espèce au Québec. Les références consultées sont indiquées. Il n’y a pas de mentions québécoises à la Collection Nationale du Canada (CNC) selon leur site Internet (voir références). L’acronyme CDMM réfère à la Collection Dominique Marullo-Masson, alors que les acronymes CTT et QMOR se réfèrent respectivement à la Collection Thomas Théry et à la Collection Ouellet-Robert.

Figure 1. Nemastoma bimaculatum, vue dorsale.

Données de récolte, publiées ou disponibles.

Nemastoma bimaculatum (Nemastomatidae)
CANADA : Québec : Brome-Missisquoi : Parc municipal de Frelighsburg [45.0484, -72.8259], 24.ix.2018, récolte à la main, litière forestière mixte, pinède, 1, P. Paquin & J. Brodeur (Paquin & Brodeur 2018) • Communauté-Urbaine-de-Montréal : Mont Royal, boisé près de l’Université de Montréal, 30.iv.1975, tamisage, litière forestière, 2, 1, L. LeSage (LeSage 1977, Paquin & Brodeur 2018) • Mont Royal, boisé près de l’Université de Montréal [45.5073, -73.6092], 06.v.2018, récolte à la main, sous un morceau de bois dans la litière forestière, érablière à chêne rouge, 1, Dominique Marullo-Masson (CDMM) • Mont Royal, boisé près de l’Université de Montréal [45.5077, -73.6098], 15.viii.2021, tamisage de litière de feuilles mortes, érablière à chêne rouge, 2, 1, Thomas Théry (CTT, QMOR, CDMM).

Discussion

Ces découvertes récentes suggèrent qu’une population de N. bimaculatum est bien établie sur le Mont-Royal. Le tamisage semble être une méthode efficace pour collecter cette espèce, car elle est associée à la litière. Une meilleure connaissance de la répartition de cette espèce au Québec permettrait de mieux apprécier l’étendue de ses populations. Il ne fait aucun doute que des efforts de recherche supplémentaires permettront de préciser davantage ses affinités écologiques, mais également ses impacts potentiels sur la biodiversité locale.

Les opilions forment un groupe souvent négligé dans les inventaires de la biodiversité (Shultz 2019). Pourtant, il a été démontré que ces derniers jouent un rôle écologique important et se révèlent intéressants à titre d’indicateurs de la perte de la qualité et de la quantité d’habitats (Bragagnolo et al. 2007). La faunistique des opilions au Québec souffre de profondes lacunes, qui mériteraient d’être comblées.

Remerciements

Nous souhaitons remercier Thomas Théry pour son aide précieuse ainsi que pour le généreux partage de ses informations. Nous tenons également à remercier Gilles Arbour pour le partage de la photographie de N. bimaculatum. Nous remercions Gilles Arbour, Ludovic Leclerc et Pierre Paquin pour la révision de l’article.

Références

Bishop SC. 1949. The Phalangida (Opiliones) of New York with special reference to the species of the Edmund Niles Huyck Preserve, Rensselaerville, New York. Proceedings of the Rochester Academy of Science 9:159–235.

Bragagnolo C, Nogueira AA, Pinto-da-Rocha R, Pardini R. 2007. Harvestmen in an Atlantic forest fragmented landscape: Evaluating assemblage response to habitat quality and quantity. Biological Conservation 139(3–4):389–400.

CNC. 2022. https://www.cnc.agr.gc.ca/taxonomy/SpecSearchD15.php#searchResults

Cokendolpher JC, Holmberg RG. 2018. Harvestmen of the family Phalangiidae (Arachnida, Opiliones) in the Americas. Special Publications Museum of Texas Tech University 67:1–44.

Groh SS, Giribet G. 2015. Polyphyly of Caddoidea, reinstatement of the family Acropsopilionidae in Dyspnoi, and a revised classification system of Palpatores (Arachnida, Opiliones). Cladistics, 31(3):277–290.

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LeSage L. 1977. Première mention de Nemastoma bimaculatum (Fabricius) pour l'Amérique du Nord (Opiliones: Nemastomatidae). Naturaliste canadien. 104(5):485.

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Wijnhoven H, Koomen P. 1997. Nemastoma bimaculatum in Nederland (Arachnida: Opilionida). Nederlandse Faunistische Mededelingen, 7(1):5–6.

Publié 
2022
 dans la catégorie 
Arachnides