Il y a 49 espèces de Pholcidae connues en Amérique du Nord (au nord du Mexique) réparties en 12 genres (Huber 2017). Curieusement, le groupe est pratiquement absent du Canada avec seulement 3 espèces connues (Paquin et al. 2010b). Sur ces 12 genres, la moitié sont représentés par une seule espèce introduite d’Europe ou d’Asie, ce qui laisse seulement 6 genres avec des espèces endémiques sur le continent. Ces petits nombres contrastent avec d’autres régions du globe qui abritent une faune diversifiée comme l’Amérique du Sud (Huber 2000) et l’Australie (Huber 2001).
Un seul représentant de cette famille se trouve au Québec : Pholcus phalangioides (fig. xxx). Il s’agit d’une espèce introduite en Amérique du Nord et cosmopolite puisqu’elle se trouve partout sur la planète (Bonnet 1958, Huber 2011b). Elle est aussi synanthropique, c’est à dire étroitement associée aux humains. Cette association explique cette vaste distribution puisque cette araignée aurait accompagné l’humain dans ses voyages et conquêtes et ce, depuis des millénaires. Si bien que de nos jours, il n’y a pas de certitudes quant à son lieu d’origine mais une origine asiatique est parfois proposée. Elle est considérée introduite partout ailleurs, y compris en Amérique du Nord.
Pholcus phalangioides est l’araignée la plus commune des habitations du Québec, avec Cheiracanthium mildei (Cheiracanthiidae) et Tegenaria domestica (Agelenidae). Elle est aussi facilement reconnaissable par son aspect. Bien qu’il s’agisse d’une petite araignée de 6-8 mm, elle possède des longues pattes grêles (fig. xxx) qui atteignent parfois 60 mm et la font paraître beaucoup plus grande. La forme cylindrique et allongée de l’abdomen est aussi reconnaissable (fig. xxx), mais la disposition des huit yeux est un caractère qui permet une identification sûre et rapide au Québec. Les yeux antérieurs médians sont réduits, et les autres forment 2 groupes de 3 yeux, qu’on appelle triades (fig. xxx).
Lorsqu’en 1775, Fuesslin a décrit cette espèce, il lui a donné l’épithète spécifique phalangioides. Ce nom est construit de la façon suivante: phalangi- réfère à Phalangida (l’ancien nom de la classe d’arachnide qu’on désigne de nos jours par Opiliones), et -oides qui veut dire « en forme de ». Ce nom signifie donc « en forme d’opilion », à cause de la ressemblance avec les faucheux, qui sont des opilions (Comstock 1940). D’ailleurs en anglais, on appelle communément les faucheux daddy-long-legs, mais dans certaines régions du monde, ce nom vernaculaire désigne également P. phalangioides.
Comme toutes les araignées, les caractères morphologiques les plus fiables pour la reconnaissance des espèces se trouvent dans la morphologie des organes reproducteurs. Les palpes des mâles de cette famille possèdent une projection prolatérale du paracymbium nommée procursus. La présence de cette structure distingue les Pholcidae de toutes les autres familles d’araignées (Huber 2017). Les palpes des mâles P. phalangioides sont complexes et possèdent une allure distincte (figs. xxx, xxx).
Habituellement, les épigynes des araignées femelles sont formées de plaques et d’ouvertures qui mènent à des conduits et des réservoirs internes bien sclérifiés. Toutefois, ce n’est pas le cas pour les organes des femelles Pholcidae qui sont simples et possèdent peu de caractères externes. Il y a des renflements et un peu de sclérification à l’emplacement où se trouvent les structures génitales femelles, et les Pholcidae adultes ressemblent plus à des immatures qu’à des femelles munies d’organes génitaux fonctionnels. On désigne ce type de génitalia femelle par le mot «haplogyne» : haplo- qui veut dire «simple» et -gyne qui veut dire «femme», par opposition à entelegyne : entele- «complet, parfait» et -gyne, «femme» qui réfère à la condition des épigynes bien sclérifiées, comme c’est le cas pour la plupart des autres araignées du Québec.
Pholcus phalangioides affectionne les endroits sombres comme les sous-sols, les garages et les greniers, où elle tisse un réseau de fils désordonnés. Toutefois, cette espèce est aussi commune à l’extérieur: dans la végétation à proximité des habitations et sous des pierres dans des endroits perturbés ou aménagés, comme les cours extérieures et les jardins. Kaston (1948) ajoute les mines et les cavernes comme chois d’habitat. Les toiles irrégulières de P. phalangioides ressemblent à celles des Theridiidae (Kaston 1948) bien que ces 2 familles ne soient pas apparentées. Typiquement, l’araignée se laisse pendre dans sa toile, la tête vers le bas et l’abdomen pointé vers le haut (Fig. xxx).
Lorsqu’une proie se prend dans la toile de P. phalangioides, il effectue parfois une série de violents mouvements giratoires qui ont pour effet d’agiter la toile et d’empêtrer davantage la victime dans la soie. Ce comportement devient défensif lorsque l’araignée se sent menacée. Selon Gertsch (1949), cette gestuelle rend l’araignée plus difficile à voir et lui procurerait une protection additionnelle contre les prédateurs (Kaston 1948, Huber 2011b). Il suffit quelquefois de souffler sur la toile pour provoquer cette réaction. Les adultes manifestent plus facilement ce comportement tandis que les immatures demeurent souvent immobiles. Si cette stratégie ne décourage pas l’agresseur, l’araignée se laisse choir sur le sol pour battre en retraite.
Selon Bonnet (1935), P. phalangioides passe par 5 mues avant d’atteindre la maturité. Les femelles peuvent vivre jusqu’à 3 ans, dont 2 à l’état adulte. Il est possible de trouver des adultes toute l’année dans les habitations (Kaston 1948), contrairement aux araignées qui vivent à l’extérieur qui sont matures pendant une courte période seulement.
Uhl et al. (1995) ont décrit le comportement d’accouplement chez P. phalangioides. Le mâle s’approche de la femelle en titillant d’abord un fil de la toile. La femelle réceptive gonfle la partie postérieure de son épigyne. Le mâle coince ensuite la partie saillante de l’épigyne entre les deux apophyses de ses chélicères, effectue une torsion des palpes de 180 degrés, et insère plusieurs sclérites à l’intérieur de la femelle.
Une fois fécondée, la femelle fabrique un sac d’oeuf très rudimenaire. Elle pond une petite quantité d’oeufs, de 13 à 60 selon Kaston (1948), qu’elle aggutine les uns aux autres et recouvre de quelques fils de soie. Il est possible de voir les petits oeufs au travers des fils. Les femelles prodiguent des soins à leur progéniture et transporteront ces sacs dans leurs chélicères jusqu’à l’éclosion des petites araignées. Selon Kaston (1948) une femelle ne confectionnera pas plus de 3 sacs d’oeufs au cour de son existence.
Les Pholcidae ont aussi un comportement inusité : celui d’envelopper leurs proies avec de la soie collante, tandis que la plupart des araignées le font avec de la soie sèche. Mais la soie collante n’est-elle pas plus difficile à manipuler pour une araignée que de la soie sèche ? En 1874, Lebert a découvert que les Pholcidae possèdent des poils qui forment un peigne sur le tarse de la patte IV. Un tel peigne tarsal est inusité chez les araignées et outre les Pholcidae, il se trouve chez les Theridiidae et les Nesticidae. Ces deux autres familles enveloppent aussi leurs proies avec de la soie collante, ce qui laisse croire que ces poils spécialisés jouent un rôle dans la manipultion de la soie collante. Kirchner & Opderbeck (1990) ont étudié la structure des peignes tarsaux de P. phalangioides, et Huber & Fleckenstein (2008) ont poussé l’étude à l’ensemble de la famille. Ces derniers concluent qu’il y a deux types de peignes tarsaux chez les Pholcidae et que P. phalangioides appartient au groupe muni d’un peigne tarsal longitudinal. Huber & Fleckenstein (2008) ont rapporté le cas d’un peigne dans lequel un fil de soie collante se trouvait logé dans un des poils. La structure en crochet du poil (Fig. xxx) suggère une spécialisation pour manipuler un tel fil sans s’enchevêtrer. Bien que spéculative et anecdotique, cette hypothèse sur le fonctionnement de ces poils est particulièrement élégante.