Je n'avais que deux heures de libre pour explorer un territoire qui m’intéressait. J’ai fait une centaine de pas sur un sentier et mon regard a été attiré par le va-et-vient frénétique d’une fourmi parmi un groupe de pucerons. Je me suis arrêté pour observer et prendre des photos. Le spectacle était étonnant. Une larve de syrphidae mangeait les pucerons un après l’autre alors que la fourmi semblait chercher le coupable sans qu’elle puisse même percevoir la présence de la larve. À un moment donné, attiré par sa curiosité, un cerf de Virginie est venu me voir de près. C’est ce qui m'a sorti de mon état presque hypnotique. Les deux heures étaient passées et c’est tout ce que j’ai pu voir de ce territoire cette journée! Je suis revenu avec quelques bonnes photos et surtout beaucoup de questions.
La relation mutualiste entre des fourmis et certains groupes d’hémiptères est bien connue. Leurs interactions sont bénéfiques pour les deux parties. La fourmi se nourrit du miellat excrété par les pucerons dans notre exemple et en échange elle les protège contre des prédateurs comme les coccinelles et certaines guêpes parasitoïdes. Malgré tout, j’ai pu observer à plusieurs reprises des larves de mouches de la famille des Syrphidae attaquer et se nourrir de pucerons malgré la présence de fourmis.
Sur ma première photo on voit les trois espèces d’insectes en interaction. D’abord il y a un groupe de pucerons qui se nourrissent sur la tige de la plante. Puis une fourmi qui se nourrit des rejets sucrés (le miellat) des pucerons. Enfin on voit une larve de syrphe qui se gave de pucerons à la manière de Pac-Man, pourtant directement en présence de leur fourmi gardienne! La fourmi court dans tous les sens et tente de trouver l’intrus mais sans succès. C’est que ces larves de syrphe dégagent des phéromones qui forment un camouflage chimique digne de Star Trek! Pour la fourmi la larve n’existe pas même si elle est grimpée dessus! La pauvre voit bien que ses pucerons disparaissent un après l’autre mais elle est incapable de trouver le coupable, confondue par les phéromones de la larve. Elle a beau frotter ses antennes sur la larve, elle ne semble pas percevoir un danger. C’est un peu comme si la larve n’était qu’un gros puceron. Par la suite, j'ai revu des scènes semblables à plusieurs endroits. Si on porte attention, on réalise que c’est relativement commun.
J’ai fait une recherche pour tenter de comprendre le phénomène. J’ai vu qu’on mentionne la même chose dans un article de A. Bächtold et K. Del-Claro dans le Revista Brasileira de Entomologia de Décembre 2013. (1)
On y relate que la larve d’une espèce de syrphidae commune au Brésil (Pseudacorus clavatus) se nourrit d’au moins 3 espèces de pucerons. Leur hypothèse est qu’un camouflage chimique accompagné de mouvements spécifiques leur permet d’éviter d’être attaquées. (1) En fait, cette capacité qu’ont certaines mouches de la famille des syrphidae est si dominante que la femelle de certaines syrphidae pond ses oeufs un par un, auprès des pucerons en quantité congruente avec l'importance de la colonie. La femelle s’assure ainsi que sa progéniture aura un garde-manger bien garni pour soutenir leur croissance. Une larve consomme jusqu'à 200 pucerons avant d'atteindre l’état adulte. Ce phénomène est très bien documenté dans cette vidéo produite en Allemagne. (2)
À l'avenir, quand je ferai une observation semblable je tenterai de récolter les insectes pour les identifier de façon formelle. J’essaierai aussi d'amener la larve jusqu’à maturité pour obtenir une mouche adulte puisqu’il est difficile à ce point-ci d’identifier la mouche dans sa forme larvaire.
***Merci à André Francoeur pour l'identification de la fourmi.
1. https://www.scielo.br/j/rbent/a/Qt85ZQCmfZxQJpGmCFMR9JJ/?lang=en#
2. https://av.tib.eu/media/10466
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