Observations sur la coloration, la toile et le sac d'œufs d'Araniella displicata (Hentz 1847) (Araneae : Araneidae)

P. Paquin (1), G. Arbour (2), A. Bérard (3), L. Lapointe (4), L.-G. de Repentigny (5)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
2. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com
3. 1063, rue Sigouin, Sainte-Adèle, QC, J8B 1S2, Canada. Courriel : aberard@facteurg.com
4. 8210 Saint-Jean-Baptiste, L'Ancienne-Lorette, QC, G2E 0B6, Canada.Courriel: 2lti@hotmail.ca
5. 403-925, avenue Myrand, Québec, QC, G1V 2W2, Canada. Courriel : lgder@outlook.com

Résumé. Nous documentons la variation de la coloration d’Araniella displicata à l’aide de photographies et nous illustrons les génitalia qui permettent une détermination fiable de cette espèce. Nous en présentons la toile confectionnée dans la partie creuse d’une seule feuille, et documentons l’aspect visuel de son sac d’oeufs.
Mots clés. variation, orbitèle, répartition géographique.

Abstract. We are documenting the color variation of Araniella displicata with photographs and are providing illustrations of genitalia used for reliable species identification. The spiders' web built within the surface of a single leaf is discussed and the aspect of the eggsac is documented.
Keywords. color variation, orb-web, eggsac, geographic distribution.

Introduction

Figure 1. Araniella displicata. 1a) palpe mâle, vue latérale, 1b) abdomen femelle, vue dorsale 1c) épigyne, vue ventrale. Extraits de Paquin & Dupérré (2003).

La composition faunistique des araignées du Québec est plutôt bien connue, grâce aux multiples travaux et découvertes réalisés au cours des trois dernières décennies. La mise à jour des espèces de la province de Paquin & Simard (2021) est le dernier jalon posé de cette noble tâche grâce à laquelle le Québec est un des endroits du monde où la composition des espèces est la mieux connue. Toutefois, malgré ces publications qui documentent leur présence dans la province, nous constatons que nous connaissons très peu la biologie de nos espèces. Ne serait-ce que pour la distribution géographique, nous ignorons quelles sont les limites de répartition de la plupart de nos espèces, même les plus communes et faciles à reconnaître. Lemay & Paquin (2022) ont documenté la répartition géographique d’Argiope aurantia et d'Argiope trifasciata et constaté que la plupart des espèces du Québec ne sont connues que de quelques localités seulement (Bélanger & Hutchinson 1992). La situation est comparable pour la plupart de nos araignées. Nous en savons peu et il est fréquent qu’une recherche d’informations se termine en cul-de-sac, même pour les espèces communes.

Dans les lignes qui suivent, nous documentons à l’aide de photographies certains aspects de la biologie d’Araniella displicata (Hentz 1847), une espèce commune du Québec. Nous abordons aussi quelques éléments de sa distribution grâce à une revue de littérature.

Matériel et méthodes

La collaboration des talentueux photographes actifs sur la page Facebook Araignées du Québec et Photographie d’insectes du Québec a permis de cumuler des observations sur la coloration, la toile et le sac d’œufs d’A. displicata, que nous rapportons ici.

Résultats

Les nombreuses publications de photos d’A. displicata montrent que la coloration blanchâtre (fig. 2a) est la teinte la plus fréquente, que ce soit pour les mâles ou les femelles. Il n’est pas rare cependant, d’observer des spécimens qui arborent de légères teintes rosées ou orangées (fig. 2c). Toutefois, nous rapportons l’existence de spécimens à la coloration brunâtre (fig. 2b) ou nettement rosée (fig. 2d).

Araniella displicata tisse une petite toile ronde, souvent à l’intérieur d’une seule feuille dont les rebords légèrement soulevés permettent d’accueillir cette structure collante. Une fois la toile complétée, l’araignée se suspend entre la toile et la feuille, près du moyeu, pour attendre les proies (fig. 3a−b). Nous avons aussi observé un mâle dont la toile a été emcombrée d’un débris végétal tombé par hasard. Loin de gêner, cet objet inhabituel a plutôt servi d’abri et de refuge à l’araignée qui s’y repositionne après une sortie provoquée par des vibrations dans la toile (fig. 3c−e).

Figure 2. Araniella displicata. a) femelle, coloration blanchâtre, vue dorsale, b) femelle, coloration brunâtre, vue dorsale, c) mâle, coloration orangée, vue dorsale, d) femelle, coloration rosée, vue dorsale.
Figure 3. Araniella displicata et sa toile. a-b) femelle positionnée sous une toile tissée au centre d'une feuille aux rebords soulevés, c) mâle abrité sous un débris végétal, d-e) le mâle quitte son abris pour investiguer la source de vibrations dans la toile, puis se repositionne sous le débris.

Le sac d’œufs d’A. displicata est de petite dimension, une masse centrale d’environ 4 mm protégée de fils de soie, qui lui donnent un aspect plutôt laineux (fig. 4). Le sac est fixé à une structure végétale comme une feuille de graminée, dont les rebords légèrement soulevés ont été garnis de fils dans le but de les rapprocher pour en faire un abri. La femelle garde le sac d’œufs pendant une période indéterminée.

Figure 4. Araniella displicata et son sac d'œufs, positionné dans une feuille de graminée dont les rebords ont été repliés pour former un abri.

Discussion

La variation de la coloration d’A. displicata est étonnante. Ce phénomène n’est pas exclusif à cette araignée, la variabilité de la coloration et des motifs de l’abdomen sont bien connus dans la famille des Araneidae, particulièrement dans les genres Araneus (Levi 1971) et Neoscona (Berman & Levi 1971). Paquin & Arbour (2021a) ont documenté la variabilité de la coloration d’Araneus marmoreus Clerck 1757 qui est accentuée au point de laisser croire qu’il s’agit d’espèces distinctes. Bien que la variabilité de la coloration des araignées soit connue, les explications derrière ces variations le sont beaucoup moins : le froid peut être associé à des colorations plus sombres (Yang et al. 2018). Aussi, la coloration des proies ingérées peut faire varier la teinte des individus, particulièrement les espèces qui sont translucides (Paquin & Arbour 2021b). Dans la plupart des cas cependant, les causes de cette variation demeurent obscures.

Pour A. displicata, peu importe la teinte des individus, nous constatons la présence constante des ponctuations noires sur la marge postérieure de l’abdomen (fig 1b, 2, 3e, 4). Ce caractère permet de reconnaître le genre Araniella selon Sacher (1990). Toutefois, une deuxième espèce d’Araniella se trouve au Canada : Araniella proxima (Kulczyński 1885) (Buckle & Roney 1995, Dondale et al. 2003). Cette araignée est aussi connue au Québec, mais elle est rare. En fait, elle n'a été trouvée qu'une seule fois, dans le Parc de la Gaspésie (Paquin & LeSage 2001). L’examen des pièces génitales des mâles et des femelles (fig. 1a, 1c) demeure la seule façon de distinguer les deux espèces et d’assurer la détermination fiable des spécimens d’A. displicata, peu importe leur coloration.

Araniella displicata appartient à la famille des Araneidae, bien connues pour les toiles rondes et de bonne taille qu’elles tissent (Dondale et al. 2003). La forme, la position et quelques autres caractéristiques des toiles sont souvent propres à certains genres, ce qui permet de les reconnaître. Par exemple, les espèces du genre Zygiella tissent des toiles incomplètes et laissent deux secteurs vides dans la partie supérieure (Levi 1974a); les espèces du genre Argiope y ajoutent une structure en zigzag nommée stabilimentum (Levi 1968); les espèces du genre Cyclosa cumulent des déchets et des restes de proies au centre de la toile pour former une structure linéaire dont elles se servent pour se camoufler (Levi 1977).

Araniella displicata se distingue par la confection d'une toile dans la portion creuse d’une feuille, où elle se trouve pendant le jour étant essentiellement diurne (Levi 1974b, Dondale et al. 2003). Cependant, elle tisse parfois sa toile dans les buissons. Sa toile peut être horizontale, contrairement à la plupart des Araneidae. Cette préférence pour le creux des feuilles fait en sorte qu’elle est surtout associée aux habitats dominés par les essences feuillues, mais Paquin & Dupérré (en préparation) montrent qu’elle est aussi présente dans les pessières boréales, où les feuillus sont pratiquement absents. Dondale et al. (2003) mentionnent que cette espèce ne fabrique pas d’abris contrairement à plusieurs Araneidae, mais nos observations suggèrent qu’elle peut tout de même utiliser des débris à cette fin, si l’occasion se présente.

Araniella displicata est une espèce commune en Amérique du Nord, mais elle se trouve aussi en Europe; elle est donc qualifiée d'espèce holarctique (Levi 1974b, Blanke 1982, Dondale et al. 2003). Levi (1974b) rapporte des mentions de l’Arctique dans l’ouest, Dondale et al. (2003) la mentionnent de la Baie James et du Labrador dans l’est, et Paquin et al. (2010) la rapportent dans toutes les provinces canadiennes. Curieusement, la répartition de cette araignée se limite à l’Arizona et la Caroline du Nord vers le sud, et semble absente du centre des États-Unis (Dondale et al. 2003).

Le sac d’œufs d'Araniella ne semble pas posséder de caractéristiques particulières. Des observations additionnelles sur d'autres sacs d’œufs de cette famille permettront peut-être de distinguer des traits propres à Araniella, puisque l’aspect, le positionnement et la structure des sacs d'oeufs demeurent inconnus pour la plupart des espèces.

Conclusion

Il est surprenant de constater à quel point nous connaissons peu la biologie de nos espèces, même les plus courantes. Nous espérons que les observations rapportées ici inciteront les lecteurs pour qu’ils notent et documentent à leur tour, les toiles et les sacs d’œufs des araignées du Québec.

Remerciements

Nous remercions Nadine Dupérré (Department of Arachnology, Centrum für Naturkunde, Universität Hamburg, Allemagne) pour la permission d'utiliser ses magnifiques illustrations, Martine Aubry et Esther Bilodeau pour la révision du texte et leurs suggestions.

Références

Bélanger G, Hutchinson R. 1992. Liste annotée des araignées (Araneae) du Québec. Pirata 1:2–119.

Berman JD, Levi HW. 1971. The orb weaver genus Neoscona in North America (Araneae: Araneidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 141:465–500.

Blanke R. 1982. Untersuchungen zur Taxonomie der Gattung Araniella (Araneae, Araneidae). Zoologica Scripta 11:287–305.

Buckle DJ, Roney K. 1995. Araniella proxima (Kulczynski) (Araneae: Araneidae) in North America. The Canadian Entomologist 127:977–978.

Dondale CD, Redner JH, Paquin P, Levi HW. 2003. The Orb-weaving Spiders of Canada and Alaska. Uloboridae, Tetragnathidae, Araneidae and Theridiosomatidae (Araneae). The Insects and Arachnids of Canada, Part 23. Agriculture Canada, Ottawa, National Research Council publications, NRC 44466. 371 pages.

Lemay F, Paquin P. 2022. La répartition géographique d'Argiope trifasciata (Forsskål 1775) et d'Argiope aurantia Lucas 1833 (Araneae : Araneidae) au Québec, et comparaison de sources de données. Hutchinsonia 2:13−23.

Levi HW. 1968. The spider genera Gea and Argiope in America (Araneae: Araneidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 136:319–352.

Levi HW. 1971. The diadematus group of the orb-weaver genus Araneus north of Mexico (Araneae: Araneidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 141:131–179.

Levi HW. 1974a. The orb-weaver genus Zygiella (Araneae: Araneidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 146:267–290.

Levi HW. 1974b. The orb-weaver genera Araniella and Nuctenea (Araneae: Araneidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 146:291–316

Levi HW. 1977. The American orb-weaver genera Cyclosa, Metazygia and Eustala north of Mexico (Araneae, Araneidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology 148:61–127.

Paquin P, Arbour G. 2021a. Variations sur un thème (1) : Araneus marmoreus Clerck 1757 (Araneidae). Hutchinsonia 1:58–59.

Paquin P, Arbour G. 2021b. Variations sur un thème (2) : Cicurina brevis (Emerton 1890) (Hahniidae). Hutchinsonia 1:86–87.

Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.

Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d’identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.

Paquin P, LeSage L. 2001 ["2000"]. Diversité et biogéographie des araignées (Araneae) du Parc de Conservation de la Gaspésie, Québec. Proceedings of the Entomological Society of Ontario 131:67–111.

Paquin P, Simard C. 2021. Liste des espèces d'araignées du Québec : mise à jour, changements taxonomiques et nouvelles mentions. Hutchinsonia 1:1–20.

Sacher P. 1990. Untersuchungen über Zahl, Anordnung und taxonomischen Wert der dorso-lateralen Abdominalpunkte in der Gattung Araniella (Arachnida: Araneae). Acta Zoologica Fennica 190: 345–349.

Yang J, Wu Q, Xiao R, Zhao J, J. C, Jiao X. 2018. Seasonal variations in body melanism and size of the wolf spider Pardosa astrigera (Araneae: Lycosidae). Ecology and Evolution 8:4352–4359.

Publié 
2022
 dans la catégorie 
Arachnides