Observations sur la toile et sur le comportement maternel de Theridula emertoni Levi 1954 (Araneae : Theridiidae)
A. Cadotte (1), P. Paquin (2)
1. Val-David, QC, Canada. Courriel : andreecadotte@hotmail.com
2. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
Résumé. La toile de Theridula emertoni Levi 1954 est composée d'une partie supérieure, faite de fils enchevêtrés logés sous une feuille, et d'une partie inférieure constituée d'une douzaine de longs fils verticaux fixés au sol. La femelle tisse un sac d'œufs qu'elle loge sous la feuille et protège jusqu'à l'éclosion. Nous avons dénombré 10 araignées sorties du sac. La femelle accompagne ses petits qui demeurent sous la feuille après l'éclosion. Les longs fils d'ancrage sont pourvus de gouttelettes gluantes sur toute leur longueur et permettent de capturer des proies en vol.
Mots clés. araignées du Québec, toile, fils collants, soins maternels.
Abstract. The web of Theridula emertoni Levi 1954 is built in two sections: an upper part that consists of a disorganized mesh located under a leaf, and a lower section made of a dozen vertical silk lines attached to the ground. The female spins an egg sac that is lodged under the leaf and guarded. We counted 10 spiders that have successfully hatched. The female also guards the spiderlings and stays under the leaf. The long silk lines are covered with sticky droplets on the entire length to capture flying prey.
Keywords. spiders of Quebec, web, gumfoot lines, maternal care.
Introduction
L'utilisation de fils de soie dans des contextes aussi variés que spectaculaires, est bien connue chez les araignées. Mais si toutes les araignées fabriquent de la soie, toutes ne tissent pas de toiles. Les Lycosidae et les Salticidae, par exemple, ne fabriquent pas de toiles pour attraper leurs proies; elles chassent plutôt à vue et utilisent la soie à d'autres fins.
La toile orbiculaire fabriquée par les Araneidae est sans doute la plus familière, mais d'autres familles confectionnent aussi des toiles remarquables : les Agelenidae avec des toiles en forme d'entonnoir (Paquin & Dupérré 2003) ou encore les toiles triangulaires des Uloboridae (Opell 2017).
Les Theridiidae tissent aussi des toiles, mais leur complexité et leur degré d'organisation sont mal connus et gagneraient à être mieux compris (Agnarsson & Levi 2017). Nous rapportons ici quelques notes sur l'observation d'une toile de Theridula emertoni Levi 1954 et sur les soins maternels.
Résultats
Les observations qui suivent ont eu lieu du 1er au 5 août 2020, près de Val-David dans les Laurentides. Theridula emertoni fabrique un sac d'œufs blanc quelque peu aplati et d'une dimension de 3 mm, que la femelle fixe sous une feuille (Levi 1954, fig. 1). La femelle demeure près du sac d'œufs, démontrant ainsi un premier type de soins maternels.
La toile observée (fig. 2–5) consiste en deux parties : la portion supérieure est un enchevêtrement de fils en trois dimensions, logé sous une feuille repliée par l'effet de tension des fils (fig. 4). La partie inférieure consiste en une douzaine de fils tendus à la verticale (nommés gumfoot lines en anglais) reliés au sol (Eberhard et al. 2008) (fig. 2). La distance entre la partie supérieure et le sol couvert de sphaignes est d'environ 30 cm. Ces fils droits sont enduits de gouttelettes visqueuses qui servent à attraper les proies. La figure 3 montre une éphémère et un petit diptère englués dans cette portion de la toile. Nous avons constaté que ces fils conservent une grande élasticité puisqu'il a été possible de retourner la feuille abritant la portion supérieure de la toile, sans les abimer.
Le sac d'œufs est déposé dans la portion supérieure de la toile, sous la feuille. L'éclosion a permis de dénombrer 10 araignées immatures qui se réfugient sous la feuille en compagnie de la femelle (fig. 5). Cette dernière se trouve parmi les juvéniles ce qui démontre un second type de soins maternels, mais des interactions directes n'ont pas été observées. Après quelques jours, nous avons noté la disparition d'un immature, mais sans pouvoir en déterminer la cause. Une dernière visite le 19 août a permis de constater qu'un spécimen immature se trouvait toujours sous la feuille mais que les longs fils gluants avaient disparu.
Discussion
Theridula emertoni est une espèce commune possédant une vaste répartition géographique qui comprend le sud du Canada; de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve (Paquin et al. 2010) ainsi que l'ensemble des États-Unis jusqu'au Mexique (Levi 1954). Au Québec, elle est facilement reconnaissable puisqu'aucune autre ne possède cette tache jaune qui couvre le centre de l'abdomen. Toutefois, les observations de sa toile et de ses habitudes demeurent peu fréquentes (mais voir Eberhard et al. 2008).
Kaston (1948) mentionne que le sac peut contenir de 32 à 51 œufs et rapporte un cas où seulement 16 œufs ont éclos. Cette dernière valeur est similaire à celle observée ici avec 10 araignées immatures.
Eberhard et al. (2008) ont effectué une analyse phylogénétique des toiles de Theridiidae avec 22 caractères et 160 espèces, dont Theridula gonygaster (Simon 1873). En codant les caractères de la toile de T. emertoni, nous avons obtenu les mêmes valeurs que celles rapportées pour T. gonygaster, ce qui suggère une grande similitude des toiles de ces deux espèces. Cet exercice met aussi en lumière un fait étonnant appuyé par nos données : dans cette famille, les longs fils droits (gumfoot lines) sont parfois enduits de colle uniquement dans leur portion terminale afin de capturer les proies qui se déplacent au sol. Pour d'autres espèces, les fils entiers sont couverts de colle et ont pour fonction de capturer les insectes volants ou sauteurs. La figure 3 montre que les fils de la partie inférieure sont collants sur toute la longueur avec deux proies capturées, non pas près du sol, mais plus haut près de la partie enchevêtrée.
Nous espérons que les observations rapportées contribueront à attirer l'attention vers les caractéristiques des toiles d'autres espèces qui demeurent, dans la plupart des cas, mal documentées.
Remerciements
Nous remercions Claude Simard pour la révision d'une première version du texte, de même que Gilles Arbour pour la permission d'utiliser la photographie de la figure 1.
Références
Agnarsson I, Levi HW. 2017. Theridiidae. Pages 256–269 in Ubick D, Paquin P, Cushing PE, Roth V (editors), Spiders of North America. An identification manual, second edition. American Arachnological Society. Keene, New Hampshire (U.S.A.).
Eberhard WG, Agnarsson I, Levi HW. 2008. Web forms and the phylogeny of theridiid spiders (Araneae: Theridiidae): chaos from order. Systematics and Biodiversity 6:1-61.
Kaston BJ. 1948. Spiders of Connecticut. State Geological and Natural History Survey of Connecticut Bulletin 70:1–874.
Levi HW. 1954. The spider genus Theridula in North and Central America and the West Indies (Araneae: Theridiidae). Transactions of American Microscopical Society 73:331–343.
Opell BD. 2017. Theridiidae. Pages 284–287 in Ubick D, Paquin P, Cushing PE, Roth V (editors), Spiders of North America. An identification manual, second edition. American Arachnological Society. Keene, New Hampshire (U.S.A.).
Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.
Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d'identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.