Depuis l’enfance, je suis dans le champ.
Tout a commencé à la maternelle quand à l’issue d’un tirage, j’ai remporté un album à colorier ayant pour thème les insectes. En le feuilletant, j’ai «attrapé quelque chose», une curiosité, une soif d’en voir et d’en savoir davantage sur ces bestioles. Je crois que chez l’enfant, la curiosité devant l’inconnue est spontanée et naturelle. Dans nos premières années de vie, nous sommes des éponges qui absorbent ce qui est nouveau. Notre cerveau se construit, apprend, se développe grâce à cet «appétit neuronal», cadeau de l’évolution. Les images de l’album et les courts textes qui les accompagnaient sont venus percuter ma curiosité.
Juste en face de chez moi, il y avait ce petit champ cerné par des bâtiments et la clôture d’une école. Un îlot de verdure qui exhalait dans l’air des parfums de nature et d’où s’élevaient des sons produits par les petites créatures qui peuplaient cet habitat. C’est dans ce petit espace rescapé, cette terra incognita que j’ai fait mes premiers pas dans un univers qui, depuis, ne cesse de m’émerveiller. Ce fut une rencontre organique avec la vie à travers mes sens mis en éveil. Une prise de conscience d’un microcosme riche, foisonnant, étonnant et mystérieux. Ce lieu m’a captivé et je m’y suis évadé le plus souvent possible. Ce modeste carré de nature a réveillé en moi un profond sentiment d’appartenance.
Plus tard, j’ai reçu un microscope en cadeau. Puis un télescope. J’ai alors découvert les merveilles de l’infiniment petit et le vertige de l’infiniment grand. J’ai alors pris la mesure de l’importance toute relative de la place que j’occupais dans ce grand tout. C’est peut-être à ce moment précis que j’ai réalisé avec mes mots d’enfants que la connexion avec «la nature», ce vocable qui semble trop souvent décrire une réalité extérieure à nous, me rappelait qu’elle était inscrite en moi et moi en elle.
Ce fut aussi mon premier contact avec le sentiment d’humilité. Le mot humilité vient du latin humilitas dérivé de humus, signifiant « terre ». Étymologiquement, être humble ne signifie donc pas être modeste, mais plutôt terre-à-terre, en état de lucidité face à soi et la nature. Jusqu’à ce jour, la rencontre avec cette forme noble d’humilité m’a préservé d’un anthropocentrisme triomphant et condescendant qui a laissé toute la place à l’émerveillement. Un émerveillement qui n’est pas défini par une succession de sensations fortes, de wow et d’exclamations, mais plutôt par une posture, une manière d’être, une force tranquille, un regard différent qui secoue la monotonie du routinier et qui nous pousse à voir, ressentir et comprendre d’une façon plus ouverte et enrichie.
La nature a besoin de notre humilité, de notre regard émerveillé et aimant, car nous prenons soin de ce que nous aimons et si la tendance se maintient, elle en aura besoin plus que jamais dans les décennies à venir, d’où l’importance de stimuler chez les jeunes l’amour de la nature.
Revenons au début: l’album à colorier. Un simple prix remporté par hasard vers l’âge de cinq ans a déclenché chez moi une réaction en chaîne qui m’a mené, beaucoup plus tard, à des considérations d’ordre philosophique et, plus important encore, à percevoir le monde naturel comme un tout dont je fais partie et qui fait partie de moi et à réaliser qu’aucune frontière ne nous sépare. À une époque de réalités virtuelles, je prends plaisir à affirmer que «je suis dans le champ», de plain-pied dans le monde naturel, à vivre une connexion organique avec lui, à m’émerveiller avant même de comprendre, à ressentir avant même de réfléchir, à vivre pleinement l’expérience de la présence de ces milliers de formes de vie et d’en faire simplement partie.
En moi persiste la mémoire de cet album à colorier, comme une balise qui me guide vers l’émerveillement, qui me rappelle chaque fois que je l’évoque, le regard neuf et curieux de l’enfant que j’étais devant le monde qui serait le mien durant ma courte vie humaine.
Chaque geste, chaque projet, chaque initiative visant à stimuler l’amour de la nature chez l’enfant peut résonner durant toute une vie, lui donner un «sens qui a du sens», et développer l’envie d’être parfois dans le champ et de s’y sentir bien, en phase et à sa place.
N’hésitez pas à partager en commentaire votre propre expérience et nous parler des déclencheurs qui ont fait naître en vous l’amour de la nature.
(Crédit photo d'entête: Shutterstock)
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