Premières mentions de Clubiona lutescens Westring 1851 et Clubiona pallidula (Clerck 1757) (Araneae : Clubionidae) au Québec
L. Leclerc
12325 rue de l’Université, Québec, QC, G1V 0A6, Canada. Courriel : ludovic.leclerc@ulaval.ca
Résumé. L'auteur rapporte les premières mentions de deux espèces de Clubionidae au Québec : Clubiona lutescens Westring 1851 et Clubiona pallidula (Clerck 1757). Les données de récolte des spécimens connus en Amérique du Nord sont présentées. La distribution et les affinités écologiques des deux espèces sont abordées.
Mots clés. espèce introduite, espèce urbaine, milieux humides, espèce synanthrope.
Abstract. The author reports the first records of two Clubionidae in Quebec: Clubiona lutescens Westring 1851 and Clubiona pallidula (Clerck 1757). Collection data are detailed for all known specimens collected in North America. Geographical distribution and ecological affinities are discussed for both species.
Keywords. introduced species, urban species, wetlands, synathropic species.
Introduction
Plusieurs espèces introduites accidentellement au Canada présentent une distribution dite bipartite. C’est-à-dire qu'elles se retrouvent à deux points d’entrée sur le continent nord-américain : à l’ouest et l’est. Le transport maritime occasionné par les nombreux échanges internationaux semble faciliter l’implantation de certaines espèces d’araignées dans les villes riveraines des océans (Nentwig 2015). Un excellent exemple d’une telle distribution est celui d’Araneus diadematus Clerck 1757 (Araneidae). Effectivement, les premières mentions de cette espèce commune et d’origine eurasienne proviennent de villes portuaires d’Amérique du Nord (Dondale et al. 2003).
Araignées aux mœurs peu connues, les Clubionidae comptent 22 espèces au Québec (Paquin et al. 2010). Aussi dénommées « sac spiders », ces araignées ne font pas de toiles mais tissent des abris avec une soie dense entre des feuilles, la litière et l’écorce (Dondale & Redner 1982). Les notes biologiques sont peu abondantes chez les espèces de cette famille outre qu’elles adoptent un comportement nocturne pour la plupart et qu’elles chassent à vue pour capturer leurs proies. Elles ont des affinités pour différentes niches écologiques : certaines vivent sur les conifères, d’autres sur les feuillus ou sur les herbes hautes (Paquin & Dupérré 2003). En Amérique du Nord, le genre Clubiona est représenté par 50 espèces (Richman & Ubick 2017) dont 33 sont présentes au Canada (Paquin et al. 2010). La grande ressemblance de ces araignées rend essentiel l’examen des génitalia des adultes pour la détermination des espèces.
Clubiona lutescens
Clubiona lutescens est originaire d'Europe. Elle a été rapportée en Amérique du Nord à la fin des années 1940 (Roddy 1966). Elle appartient au groupe lutescens tout comme Clubiona riparia L. Koch 1866, commune au Québec (Dondale & Redner 1982). Cette araignée a été signalée dans certains pays d’Asie (Corée et Japon) ainsi que dans plusieurs pays du continent européen (Mikhailov 1990, Kim & Lee 2014). En Amérique du Nord, cette araignée se trouve dans l’Ouest du continent, soit au Canada (Colombie-Britannique) et aux États-Unis (État de Washington) (Roddy 1966, Dondale & Redner 1982).
Les deux spécimens collectés entre les mois de mai et juin en Amérique du Nord proviennent de milieux humides, d’herbes et d’arbustes (Roddy 1966). Par ailleurs, en Colombie-Britannique, des sacs d’œufs ont été trouvés enroulés dans des feuilles de saules (Salix spp.) (Dondale & Redner 1982). En Eurasie, Kim & Lee (2014) soulignent que C. lutescens vit dans des arbustes dans les régions montagneuses, les prairies et les marais.
Clubiona pallidula
Cette araignée est originaire du continent européen et appartient au groupe pallidula (Dondale & Redner 1982). Elle a également été introduite en Amérique du Nord à la fin des années 1940 (Roddy 1966).
Clubiona pallidula est une espèce largement répartie en Eurasie (Dondale & Redner 1982, Draney & Jaskula 2004). Sur le continent nord-américain, sa répartition était connue de l’ouest du Canada (Colombie-Britannique) et des États-Unis (État de Washington), mais a aussi été mentionnée en Ontario (Dondale & Redner 1982). Plus récemment, elle a été récoltée en petit nombre au Wisconsin dans la région des Grands Lacs (Draney & Jaskula 2004).
En Amérique du Nord, C. pallidula a été récoltée dans une grande variété d’habitats : arbustes, herbacées, sous l’écorce des arbres, terriers de taupe, champs cultivés et habitations (Dondale & Redner 1982). Draney & Jaskula (2004) rapportent également des captures nombreuses de cette espèce introduite dans des milieux humides dominés par le roseau commun (Phragmites australis (Cav.) Trin. ex Steud) et les quenouilles (Typha spp.).
Matériel et méthodes
Les photographies ont été prises à l'aide d'un appareil photo Nikon D7000 couplé à une loupe binoculaire Motic et les cartes ont été produites avec le logiciel de cartographie numérique QGis (2021).
Résultats
Les distributions de C. lutescens et C. pallidula en Amérique du Nord sont présentées, incluant les mentions de la littérature, les spécimens disponibles et les nouvelles récoltes.
Données de récolte
Pour les mentions tirées de la littérature, les références sont indiquées alors que les autres proviennent de l’examen des spécimens ou de bases de données jugées fiables. Les acronymes suivants sont utilisés : CCS Collection Claude Simard (Québec), CLLC Collection Ludovic Leclerc (Québec) et CNC Collection Nationale du Canada (Ottawa). Les données des spécimens conservés à la CNC sont disponibles par un site Internet (voir références), ou dans les publications indiquées.
Clubiona lutescens (Clubionidae).
ÉTATS-UNIS : Washington : King County : Seattle [47.5900, -122.3300] vi.1954, 1, 4, B. Malkin (Roddy 1966) CANADA : Colombie-Britannique : Greater Vancouver : Vancouver [49.1800, -122.8300] 11.viii.1949, 1, W. Ivie (Roddy 1966) Québec : Communauté-Urbaine-de-Québec : Québec : Parc Les Saules, bord de la rivière Saint-Charles [46.8113, -71.3171] 16.vi.2020, berge rocheuse, récolte manuelle, 1, L. Leclerc (CLLC).
Clubiona pallidula (Clubionidae).
ÉTATS-UNIS : Washington : King County : Seattle [47.5900, -122.3300] vi.1954, 1, 2, B. Malkin (Roddy 1966) • Wisconsin : Brown County : Green Bay [44.5885, -88.0162] vi−ix.2002, 7 spécimens (Draney & Jaskula 2004) • Green Bay [44.5654, -88.0452] vi−ix.2002, 3 spécimens (Draney & Jaskula 2004) • Green Bay [44.5601, -88.0370] vi-ix.2002, 1 spécimen (Draney & Jaskula 2004) • CANADA : Colombie-Britannique : Greater Vancouver : Vancouver [49.1800, -122.8300] 11.viii.1949, 3, W. Ivie (Roddy 1966) • Vancouver [49.1800, -122.8300] xi.1953, 3, A.L. Turnbull (CNC) Ontario : Hastings : Belleville [44.1632, -77.3887] 20.iv.1972, 1, C.D. Dondale (CNC) • 2 autres mentions sans information dans la grande région de Toronto (extraites de Dondale & Redner 1982) Nouvelle-Écosse : Halifax County : Halifax [44.6487, -63.5752] 09.vii.2003, 1, E. Ritchie (CNC) • Québec : Communauté-Urbaine-de-Québec : Québec : Arrondissement Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge, École Fernand-Séguin [46.7848, -71.2955] 05.vi.2020, bâtiment extérieur sur un mur de brique, récolte manuelle, 1, L. Leclerc (CLLC) • Arrondissement Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge, résidence privée, dans un solarium [46.7667, -71.2500] 07.vi.2014, 1, C. Simard (CCS) • 25.vi.2016, 1, C. Simard (CCS) • 10.vi.2018, 1, C. Simard (CCS).
Discussion
Le seul spécimen de C. lutescens trouvé en sol québécois est un mâle adulte (fig. 1), récolté manuellement sur une berge rocheuse de la rivière Saint-Charles située dans l’arrondissement Les Saules à Québec le 16 juin 2020. L’identification de cette araignée a été confirmée par l’observation des structures génitales (fig. 2). L’habitat de récolte semble confirmer une préférence pour les milieux humides (Roddy 1966, Dondale & Redner 1982). Il s’agit de la seconde mention pour le Canada et d’une troisième pour l’Amérique du Nord (fig. 3). Dans cette optique, il serait pertinent d’examiner les milieux humides (rivières, marais et autres) situés près des villes afin de trouver d’autres individus et de préciser la répartition et la biologie de C. lutescens dans la province.
Le premier spécimen de C. pallidula est un mâle adulte (fig. 5) récolté par C. Simard le 7 juin 2014 dans l’arrondissement Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge à Québec et dans un petit solarium (environ 10 m2) d’une propriété privée. Deux ans plus tard, le 25 juin 2016, dans le même solarium, il capture une première femelle adulte (fig. 4, 6) puis un deuxième mâle adulte le 10 juin 2018. Deux ans plus tard, L. Leclerc attrape un mâle mature sur le mur extérieur d’une école située à environ deux kilomètres des premiers spécimens et dans le même arrondissement le 5 juin 2020. Enfin, en l’absence d’un spécimen qui aurait permis de valider la collecte, une mention douteuse et non confirmée de C. pallidula aurait été effectuée sur le site du Jardin Botanique de Montréal le 21 août 2014 dans un piège Malaise (M. Larrivée, communication personnelle à L. Leclerc). La présence au Québec de cette espèce confirme une répartition bipartite en Amérique du Nord (fig. 7). Les données récoltées sur C. pallidula suggèrent que ce clubionide aurait une certaine préférence pour les milieux urbains. Toutefois, les observations de C. pallidula par Draney & Jaskula (2004) relèvent qu’il abonde dans les milieux humides dominés par les P. australis, une espèce exotique, et Thypha spp. Ainsi, il semble tout à fait possible qu’elle adopte une niche écologique similaire au Québec et qu’elle y côtoie d’autres espèces telles que C. riparia ou Clubiona maritima L. Koch 1867 (Dondale & Redner 1982).
Des données additionnelles sur ces Clubionidae introduites pourraient permettre de cerner un possible effet sur l'arachnofaune locale. Le déplacement écologique d'espèces indigènes par des espèces introduites est bien connu. L'exemple de Steatoda bipunctata (Linnaeus 1758), une espèce européenne introduite, illustre la possibilité d'extensions d'aires géographiques rapides et agressives. Cette dernière supplante souvent Steatoda borealis (Hentz 1850), une espèce indigène synanthrope aussi commune dans les milieux urbains (Nyfeller et al. 1986).
Remerciements
L'auteur remercie Pierre Paquin et Claude Simard pour la confirmation de l’identification de ces deux Clubionidae ainsi que pour la révision du manuscrit. Il remercie également Maxim Larrivée (Insectarium de Montréal) pour avoir fourni des informations pertinentes concernant une donnée de récolte de C. pallidula.
Références
CNC. 2021. https://cnc.agr.gc.ca/taxonomy/SpecSearchD15php?dowhat=displaycountry&countryid=39&taxon=456517
Dondale CD, Redner JH. 1982. The Sac Spiders of Canada and Alaska. Clubionidae and Anyphaenidae (Araneae). The Insects and Arachnids of Canada, Part 9. Agriculture Canada, Ottawa, National Research Council publications, NRC 1724. 198 pages.
Dondale CD, Redner JH, Paquin P, Levi HW. 2003. The Orb-Weaving Spiders of Canada and Alaska. Uloboridae, Tetragnathidae, Araneidae, Theridiosomatidae (Araneae). The Insects and Arachnids of Canada, Part 23. Agriculture Canada, Ottawa, National Research Council publications, NRC 44466. 378 pages.
Draney ML, Jaskula JM. 2004. Araneae and Opiliones from Typha spp. and Phragmites australis stands of Green Bay, Lake Michigan, and an exotic spider species newly reported from the U.S. Great Lakes Region. The Great Lakes Entomologist 37(7):159–164.
Kim S-T, Lee S-Y. 2014. lnvertebrate Fauna of Korea, Thomisid Spiders 21(31), 191 pages.
Mikhailov KG. 1990. The spider genus Clubiona Latreille 1804 in the Soviet Far East, 1 (Arachnida, Aranei, Clubionidae). Korean Arachnology 5(2):139–175.
Nentwig W. 2015. Introduction, establishment rate, pathways and impact of spiders alien to Europe. Biological Invasions 17(9):2757–2778.
Nyfeller M, Dondale CD, Redner JH. 1986. Evidence for displacement of a new North American spider, Steatoda borealis (Hentz), by the European species S. bipunctata (Linnaeus) (Araneae: Theridiidae) Canadian Journal of Zoology 64:867–874.
Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.
Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d'identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.
Richman DB, Ubick D. 2017. Dictynidae. Pages 89–90 in Ubick D, Paquin P, Cushing PE, Roth V (editors), Spiders of North America. An identification manual, second edition. American Arachnological Society. Keene, New Hampshire (U.S.A.).
QGis. 2021. https://www.qgis.org/fr/site/
Roddy LR. 1966. New species, records, of Clubionid spiders. Transactions of the American Microscopical Society 85(3): 399–407.