Une troisième localité au Québec pour Cesonia bilineata (Hentz 1847) (Araneae : Gnaphosidae)
A. Beaudoin (1), P. Paquin (2)
1. 150 De La Pointe-Aux-Roches, Luskville, QC, J0X 2G0, Canada. Courriel : anniedarlinebeaudoin@hotmail.com
2. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
Résumé. L'examen du rivage sablonneux de la rivière des Outaouais, près de Luskville, a permis la récolte de Cesonia bilineata, une espèce rare trouvée pour la troisième fois au Québec. Les données de récolte sont présentées et les génitalia sont illustrés. Nous présentons des photographies des femelles et du sac d'œufs. La répartition géographique et quelques aspects de la biologie de cette espèce sont abordés.
Mots clés. araignées du Québec, phénologie, espèce rare, protandrie, microhabitat.
Abstract. A careful examination of the sandy shore of the rivière des Outaouais near Luskville led to the collection of Cesonia bilineata, a rare species found for the third time only in Québec. Collection data is given, and genitalia are illustrated. We also provide photographs of the females and the egg sac. Distribution is discussed and a few aspects of its biology are discussed.
Keywords. spiders of Quebec, phenology, rare species, protandry, microhabitat.
Introduction
Vers la mi-juin 2020, A. Beaudoin a publié une photo sur la page Facebook Araignées du Québec, qui a attiré l'attention de P. Paquin. L'aspect zébré de la femelle photographiée suggérait une espèce de la famille des Gnaphosidae appartenant au genre Cesonia. Dans le but de récolter quelques spécimens vivants à des fins de photographie, nous avons inspecté minutieusement l'habitat où le premier spécimen a été aperçu. Cette recherche a permis de récolter des spécimens additionnels qui ont confirmé que l'espèce en cause est Cesonia bilineata (Hentz 1847), une araignée rarement trouvée au Québec.
Nous rapportons ici les données de récolte, illustrons les caractères diagnostiques de cette espèce et présentons quelques aspects de sa biologie.
Matériel et méthodes
La recherche de spécimens s'est effectuée quelques jours après l'observation originale. La berge du côté québécois de la rivière des Outaouais près de Luskville a été examinée avec minutie, particulièrement sous les débris de bois sur le sable, entre et sous les pierres à demi enfouies. Les spécimens débusqués, qui sont particulièrement rapides, ont été récoltés avec un aspirateur buccal (Paquin & Provost 2010).
Résultats
L'examen de cet habitat a permis de récolter huit femelles. Bien qu'au Canada, ce genre n'est représenté que par une seule espèce reconnaissable par les deux bandes sombres longitudinales (fig. 1a, 2, 3), c'est l'examen des génitalia (fig. 1a, 1b, 1c) qui permet une détermination sûre et la distinction avec les autres espèces du genre (Platnick & Shabad 1980, Platnick & Dondale 1992).
La détermination de l'espèce a été confirmée par l'examen du génitalia femelle une fois les spécimens préservés dans l'alcool.
Données de récolte.
CPAD : Collection Paquin et Dupérré (Shefford).
Cesonia bilineata (Gnaphosidae)
CANADA : Québec : Les Collines-de-L'Outaouais : Luskville [45.4974, -76.0195] 28.vi.2021, rivage de la rivière des Outaouais, sous les débris et entre les pierres à demi enfouies dans le sable, récolte manuelle, 8, P. Paquin & A. Beaudoin (CPAD).
Discussion
Cesonia bilineata a été rapportée pour la première fois au Québec par Hutchinson (1997), qui la mentionne de deux localités près de celle rapportée ici. Elle était connue de Bristol Mines et des rapides Deschênes, à Gatineau. Toutes ces mentions proviennent du même type d'habitat, soit à proximité de la rivière des Outaouais, particulièrement sur le rivage sablonneux.
Au Canada, Cesonia bilineata est connue du Manitoba, de l'Ontario et du Québec (Aitchison-Benell & Dondale 1992, Platnick & Dondale 1992, Paquin et al. 2010). Il s'agit d'une espèce largement répartie sur la portion est du continent : du Manitoba et au Québec au nord, jusqu'au Mexique, incluant la Floride (Platnick & Shabad 1980).
À l'origine, cette araignée avait été incluse dans la liste des espèces probables pour le Québec de Hutchinson & Bélanger (1994), qui la rapportait de Chaffey's Locks, une localité ontarienne limitrophe au Québec. En se fiant à la littérature, ces derniers auteurs ont fait une synthèse des habitats connus pour cette espèce : dunes, forêts mixtes, boisés, forêts décidues et de pins, berges argileuses, berges sablonneuses et même dans des serres et des habitations. Cette liste diversifiée contraste avec les récoltes faites au Québec qui semblent plutôt associées aux berges sablonneuses.
La recherche de spécimens rapportée ici a permis la récolte de huit femelles, en plus de nombreuses autres laissées sur place, mais n'a pas permis la récolte de mâles. L'explication la plus plausible est que les mâles deviennent adultes un peu plus tôt que les femelles et sont disparus de l'habitat. La maturation des mâles qui précède celle des femelles est un phénomène bien connu qui se nomme protandrie (Gunnarsson & Johnsson 1990, Bukowski & Avilés 2002). Une femelle prête à s'accoupler pourra ainsi trouver un mâle facilement, ce qui maximise le succès reproducteur de l'espèce. Ces derniers ne survivent pas très longtemps après la période d'accouplement, contrairement aux femelles qui confectionnent les sacs d'œufs et prodiguent souvent des soins maternels. Toutefois, les données provenant des États-Unis montrent qu'il est possible de trouver des adultes presque toute l'année (Platnick & Dondale 1992, Platnick & Shabad 1980), mais les dates de récoltes des spécimens du Québec laissent supposer que ce n'est pas le cas à la limite nord de leur répartition géographique.
La recherche de spécimens rapportée ici a permis la récolte d'une femelle gravide, qui diffère par un abdomen beaucoup plus arrondi (fig. 3). De plus, de nombreux sacs d'œufs ont été observés, sous les pierres, dans les débris, dans une coquille vide de mollusque, et dans une feuille morte coincée entre deux pierres (fig. 4). Les femelles gardent les sacs en demeurant à proximité. Le sac est plutôt arrondi, d'un diamètre d'environ 11 mm. La couche de soie extérieure contient parfois des grains de sable, mais cette addition semble plutôt accidentelle que délibérée, puisque certains sacs observés sur le terrain n'en contenaient pas.
Remerciements
Nous remercions Claire Lépine et Sylvain Lalongé pour la révision d'une première version de ce texte, Nadine Dupérré pour le partage de ses illustrations, enfin Gilles Arbour pour les magnifiques photographies.
Références
Aitchison-Benell CW, Dondale CD. 1992 ["1990"]. A checklist of Manitoba spiders (Araneae) with notes on geographic relationships. Le Naturaliste canadien (Revue d'Écologie et Systématique) 117:215–237.
Bukowski TC, Avilés L. 2002. Asynchronous maturation of the sexes may limit close inbreeding in a subsocial spider. Canadian Journal of Zoology 80:193–198.
Gunnarsson B, Johnsson J. 1990. Protandry and moulting in the spider Pityohyphantes phrygianus. Oikos 59:205–216.
Hutchinson R. 1997. Premières mentions de Cesonia bilineata (Hentz) (Araneae: Gnaphosidae) pour le Québec. Fabreries 22:81–83.
Hutchinson R, Bélanger G. 1994. Liste annotée des Araignées (Araneae) susceptibles de se trouver au Québec. Pirata 1:202–229.
Paquin P, Buckle DJ, Dupérré N, Dondale CD. 2010. Checklist of the spiders (Araneae) of Canada and Alaska. Zootaxa 2461:1–170.
Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d’identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.
Paquin P, Provost P. 2010. Modification of the mouth aspirator for collection of cave arthropods. Speleobiology Notes 2:1–3.
Platnick NI, Dondale CD. 1992. The Ground Spiders of Canada and Alaska (Araneae: Gnaphosidae). The Insects and Arachnids of Canada, part 19. Agriculture Canada, Ottawa. Publication 1875. Pages 1–297.
Platnick NI, Shadab MU. 1980. A revision of the spider genus Cesonia (Araneae, Gnaphosidae). Bulletin of the American Museum of Natural History 165:335–386.