Variations sur un thème (2) : Cicurina brevis (Emerton 1890) (Hahniidae)

P. Paquin (1), G. Arbour (2)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
2. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com

L'aspect d'une araignée est souvent trompeur quand on veut assigner un nom d'espèce avec certitude à un spécimen. Nous présentons un exemple de cette difficulté avec Cicurina brevis.

Figure 1. Cicurina brevis, femelles.

Contrairement à de la variation due à la pigmentation et à des motifs (Paquin & Arbour 2021), la variabilité de C. brevis est plutôt due au caractère translucide de la chitine. L'abdomen de C. brevis est typiquement blanchâtre avec six petites taches plus foncées sur la partie inférieure (fig. 1a). Avec des spécimens d'élevage de cette espèce, Pierre Paquin a toutefois remarqué de la variation des teintes de l'abdomen. La coloration allait du blanc jaunâtre à une coloration verte, rose, rouge ou jaune. Cette variabilité a été liée à la coloration des proies ingérées (non publié); l'abdomen étant plutôt translucide, il n'en faut pas plus pour observer une C. brevis rose ou verte en fonction de la couleur de la proie. Avec les spécimens recueillis dans la Réserve naturelle du Bois-des-Patriotes (municipalité de Saint-Denis-sur-Richelieu) à des fins de photographie, nous avons aussi noté une grande variabilité (fig. 1a–c). Sans connaître les causes exactes de cette variation, nous suspectons qu'elle est, en partie du moins, due au caractère translucide de l'abdomen. De plus, la présence des taches abdominales n'est pas constante, comme le montrent les figures 1b et 1c. Dans le cas de cette espèce comme dans celui de plusieurs araignées, c'est l'examen des génitalia femelles qui permet de confirmer l'identité de cette araignée et permet d'affirmer que la figure 1a = 1b = 1c = C. brevis.

Figure 2. Génitalia femelles de Cicurina brevis. a) épigyne, vue ventrale, b) épigyne éclaircie, vue ventrale, c) épigyne éclaircie, vue dorsale.
Figure 3. Génitalia femelles de Cicurina itasca. a) épigyne, vue ventrale, b) épigyne éclaircie, vue ventrale, c) épigyne éclaircie, vue dorsale.

Contrairement aux espèces du genre Araneus (Paquin & Arbour 2021), les épigynes des Cicurina ne possèdent pas de scape. Pour l'observateur au stéréoscope, les génitalia ressemblent plutôt à une légère dépression nommée atrium (fig. 2a). Cette structure comporte des ouvertures copulatoires de chaque côté. Pendant l'accouplement, le mâle introduira son embolus dans ces ouvertures pour transférer sa semence. Les ouvertures copulatoires sont reliées à des conduits et des réservoirs situés un peu plus profondément dans l'abdomen. Il est possible d'entrevoir ces structures internes par transparence de la chitine (fig. 2a), mais souvent, elles demeurent floues et difficiles à observer. L'aspect externe de ces structures permet souvent à l'arachnologue expérimenté d'identifier une espèce sans autre traitement. Par exemple, l'aspect externe de l'épigyne de C. brevis (fig. 2a) permet de distinguer la forme d'atrium et, par transparence, les structures internes. Un examen attentif permettra de la distinguer de Cicurina itasca Chamberlin & Ivie 1940, une espèce semblable (fig. 3a). Dans ce cas, la forme légèrement différente de l'atrium est utile, mais c'est l'examen des structures internes (par transparence) qui permet de poser un diagnostique fiable.

Le degré de transparence qui permet d'observer les structures internes est variable d'un individu à l'autre au sein d'une même espèce. Il n'y a pas de difficulté pour observer l'aspect externe des génitalia (dans ce cas l'atrium) mais très souvent, c'est au niveau des structures internes que se trouvent les caractères utiles pour la détermination fiable des espèces. Dans de tels cas, il faut préparer les génitalia femelles pour l'examen des structures internes sans avoir à en deviner la forme ou la configuration par transparence.

La préparation des génitalia femelles pour l'examen des structures internes demande un peu de dextérité mais surtout de la minutie :

1) Il faut d'abord disséquer en découpant la chitine autour de la structure avec une pincette effilée ou une aiguille entomologique fine, afin d'extraire les génitalia de l'abdomen

2) Ensuite, transférer cette structure dans une lame à dépression qui contient un éclaircissant doux. Après un bain d'une dizaine de minutes, l'agent éclaircissant aura dissout les tissus et les graisses qui obstruaient la vue, ne laissant visibles que les parties plus fortement sclérifiées (réservoirs, conduits). Il existe plusieurs types d'agents éclaircissant, mais l'acide lactique est un des plus fréquemment utilisé parce qu'il n'endommage pas les génitalia qui baignent trop longtemps. La structure ainsi éclaircie laisse parfaitement voir les détails des génitalia femelles.

3) Il est possible de l'observer en vue ventrale (fig. 2b, 3b), c'est-à-dire avec un angle semblable à l'observation directe des génitalia externes (fig. 2a, 3a). Mais il est aussi possible d'observer la structure en vue dorsale, comme si on regardait au travers de l'abdomen de l'araignée. Cette vue dorsale des génitalia éclaircis (fig. 2c, 3c) est souvent nécessaire pour observer certains caractères diagnostiques.

Dans le cas présent, les 3 araignées de la figure 1 possèdent des génitalia qui correspondent à la figure 2a, qui diffère des génitalia de la figure 3a. Les deux atriums sont semblables, mais distinguables. Toutefois, l'examen de la structure interne (éclaircie) ne laisse aucun doute sur l'espèce : figure 1a = 1b = 1c = 2a = 2b = 2c = C. brevis, qui diffèrent de C. itasca (fig. 3a–c), même si ce sont deux espèces semblables.
Pour distinguer les mâles de ces deux espèces, il faudra référer à d'autres caractères présents sur les palpes, c'est-à-dire sur les organes génitaux des mâles.

Références

Paquin P, Arbour G. 2021. Variations sur un thème (1) : Araneus marmoreus Clerck 1757 (Araneidae). Hutchinsonia 1:58–59.

Paquin P, Dupérré N. 2003. Guide d'identification des araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.

Publié 
2021
 dans la catégorie 
Arachnides