La famille des Agelenidae a été redéfinie à quelques reprises au cours des dernières décennies. Auparavant au Québec, on ne trouvait que les genres Agelenopsis et Tegenaria, mais Bolzern et al. (2013) ont créé le genre Eratigena (une anagramme de Tegenaria) pour y transférer plusieurs espèces de Tegenaria, dont Eratigena atrica, une espèce présente dans la province. Les genres Wadotes et Coras appartiennent au Coelotinae et en sont les seuls représentants en Amérique du Nord. Cette sous-famille a longtemps été placée dans les Amaurobiidae, mais les travaux de Miller et al. (2010) la positionne plutôt dans les Agelenidae, ce que soutiennent Wheeler et al. (2017). Nous comptons maintenant 11 espèces dans cette famille.
Les Agelenidae illustrent bien quelques types classiques de répartitions géographiques. Par exemple, Tegenaria domestica (aussi nommée Tégénaire) est une espèce synanthrope, ce qui veut dire qu’elle est associée aux habitations humaines (voir Paquin et al. 2022). Cette araignée a été introduite par inadvertance aux quatre coins du globe en accompagnant l’humain dans ses voyages et ses conquêtes. Ces introductions remontent à si longtemps que le lieu exact d’origine est incertain. Grâce à sa formidable capacité d’adaptation et à la similarité des habitations humaines à travers le monde, T. domestica se trouve aujourd’hui presque partout, sauf dans les régions polaires extrêmes, ce que lui vaut le qualificatif de cosmopolite (Bonnet 1959, Forster & Forster 1999). Il s’agit d’une des araignées les plus communes dans nos habitations, où elles tissent des toiles en entonnoirs à la jonction des murs des endroits sombres et peu fréquentés. On les trouve dans les garages, les greniers et autres pièces des maisons comme les sous-sols, où elles sont actives pendant presque toute l’année (Kaston 1948). Tegenaria domestica est connu pour sa longévité : Bonnet (1935) rapporte qu’une femelle aurait vécu 7 ans. Elle possède également un formidable potentiel reproducteur : on rapporte qu’une femelle a pondu 9 sacs d'œufs fertiles à partir d’une seule fertilisation. Il n’est donc pas surprenant qu’elle soit parfois si abondante dans nos habitations.
Eratigena atrica présente un type de répartition différent. Bien que cette espèce soit également synanthrope (Paquin et al. 2022), elle était restreinte à l’Europe jusqu’en 1999, où une population a été découverte en Nouvelle-Écosse. Eratigena atrica est une qualifiée d’espèce introduite puisqu’il s’agit d’une arrivée récente et accidentelle en Amérique du Nord. Il est très peu probable qu’une araignée de cette taille (10–16 mm), associée aux habitations humaines, soit passée inaperçue sur notre continent pendant plus de 200 ans. Les habitations humaines de l’Amérique du Nord sont suffisamment similaires à l’habitat d’origine pour lui permettre de survivre, et même d’étendre sa répartition. Une seconde population a été documentée à Trois-Rivières en 2003 et elle est aperçue sporadiquement, dont une observation en 2021 à Saint-Eustache.
Les espèces appartenant au genre Agelenopsis sont communes. Elles se trouvent surtout dans les champs, les jardins et les abords des habitations. Elles affectionnent les endroits bien dégagés, où elles tissent des toiles très caractéristiques qui ressemblent à des plates-formes concaves se terminant par une retraite en forme d’entonnoir (fig. xxx). En anglais, les Agelenidae tirent leur nom vernaculaire de la forme particulière de cette toile : funnel-web weavers. Contrairement à la soie des toiles d’autres familles d’araignées comme les Araneidae, la soie des toiles des Agelenidae n’est pas collante. L’araignée compte plutôt sur sa grande rapidité pour saisir les proies qui s’y posent. Les Agelenopsis attendent patiemment dans leur retraite, les pattes étendues vers l’avant pour bien sentir les vibrations provoquées par les proies. Ils bondissent aux premiers signaux perçus et ramènent les proies dans leur retraite pour les dévorer ultérieurement. La retraite est un étroit couloir de soie, qui comprend une deuxième issue à l’arrière de la toile, prévue pour les évasions discrètes si un prédateur se montre trop menaçant (Foelix 1996). Les deux espèces d’Agelenopsis connues du Québec montrent une répartition géographique intéressante. Agelenopsis utahana est largement répandu : elle est présente au nord jusqu’à la forêt boréale, tandis qu’Agelenopsis potteri est restreint à la partie méridionale de la province. Il n’est pas rare de rencontrer les deux espèces dans le même habitat au sud du Québec, où elles tissent leurs toiles dans la haute végétation, les coins de murs et les clôtures. La plus commune est A. potteri, qui est souvent observée en grand nombre à partir du mois d’août, à cause de l’association avec les habitations et la végétation qui les entoure. Des populations particulièrement denses sont parfois aperçues dans les haies, tôt le matin, lorsque la rosée se dépose dans les toiles et les rends plus visibles. Deux autres espèces, Agelenopsis actuosa et Agelenopsis emertoni pourraient également se trouver dans l’extrême sud de la province mais n’ont toujours pas fait l’objet de récolte
On connaît peu la biologie des araignées des genres Coras et Wadotes. Coras montanus est l’espèce qui présente la plus vaste répartition : on la trouve du sud du Québec jusqu’à la forêt boréale. Les autres espèces du genre sont restreintes à la partie sud de la province, où elles vivent dans les failles des parois rocheuses, dans la litière et dans les souches. Coras juvenilis est commune et souvent trouvée sous les écorces et dans le bois mort. Wadotes calcaratus est largement réparti au Québec tandis que Wadotes hybridus se limite à la partie sud de la province.
Bien que les Agelenidae soient particulièrement rapides, une caractéristique qui en fait des prédateurs efficaces, ils sont inoffensifs. Il faut cependant être attentif à la venue possible de Tegenaria agrestis (Walckenaer), une espèce d’origine européenne (Exline 1951) restreinte à l’ouest du continent, dont la morsure peut provoquer une réaction cutanée.