S’il y a une certitude qui prévaut en moi, c’est celle-ci : quand nous connaîtrons mieux le cycle de vie des guêpes parasitoïdes de la famille Ichneumonidae, on fera un pas de géant pour la lutte naturelle contre les insectes nuisibles. En effet, ces guêpes pondent leurs œufs dans des chenilles et leurs larves s'en nourrissent jusqu'à la mort de la chenille. Nous aurions donc un outil de bio-contrôle très précieux, remplaçant les pesticides qu’on épand encore beaucoup trop sur cette planète fragile.
Je me suis penché pendant l’automne sur un groupe qui m’intrigue beaucoup : la sous-famille des Ichneumoninae. Je les aperçois presque toujours avant l’hiver (jamais durant la saison estivale) ou encore saturés en glycérol en train d’hiverner. Parmi les Ichneumoninae, de nombreux genres hivernent. Je peux les récolter, les prendre en photos et les libérer ensuite en prenant soin de les remettre tout près de leur milieu naturel. Je pourrai aussi faire des recherches sur leur chenille hôte, car cette sous-famille ne pond que dans les larves de lépidoptères, plus spécifiquement dans les chenilles exposées, sans la protection d’un cocon.
Dans une pente abrupte, non loin du chalet où je séjourne, il y a des gros sapins morts encore debout. Ces arbres représentent un magnifique refuge, lové au cœur de la forêt, à travers les vallées montagneuses qui s’étendent à perte de vue - un hôtel 3 étoiles pour le grand dodo d’hiver de certains insectes. À moins d’une centaine de mètres du chalet, à proximité des points d’eau les plus proches, ce complexe hôtelier peu banal s’étend sur plusieurs étages cachés sous l’écorce : du vieux bois de sapin transformé en précieux liège avec les années, des centaines de chambres spacieuses et luxueuses sont disponibles pour tous types de séjours offrant une vue de carte postale sur les jardins de glace aux alentours. Réconfortants, calmes et reposants, ces lieux sont parfaits pour un séjour privé ou en famille, ou encore une pause cryogénique de 6 mois. Moi qui m’étais toujours demandé à quoi pouvait bien servir le bois d’un vieux sapin mort!
J’ai coupé ces arbres en bûches énormes de 5 pi. Je les ai rentrées dans mon mini-chalet à bout de bras et les ai disposées en rosace, bien en vue. J’ai ensuite allumé une bonne braise afin de réchauffer tout ça. La chaleur aidant, les guêpes commencent à sortir de leur cachette. Craquement dans une bûche, une poche d’air qui libère un groupe de Braconidae, bientôt j’entends siffler autour de mes oreilles. Ça bourdonne… Et ça continue comme ça pendant des heures… J’ai vécu avec ces guêpes une partie de la journée. Un peu plus tard, le rayon de ma lampe portative s’arrêtera sur des ailes aux reflets bleutés près de la fenêtre. En fin de journée, je verrai une autre guêpe aux ailes enfumées. Que c’est beau, je les trouve toutes magnifiques !
J’en ai récolté et photographié quelques-unes.. Après avoir eu l’aide de spécialistes chevronnés, sur le site BugGuide entre autres, ce fut le temps de chercher pour chacune de ces guêpes parasitoïdes les chenilles hôtes dans lesquelles elles pondent. Le Dr Andrew Bennett, le grand manitou des Ichneumonidae au Canada, m’a bien mis en garde : l’identification sur photo pour ce groupe n’est jamais sûre. Pour ça, il faut préserver le la guêpe dans l’alcool 70% et l'étaler sur microscope. Je me suis muni d’un bon binoculaire pour m’aider. Avec les références du Dr Bennett, j’ai pu y aller par élimination quand les caractères morphologiques se ressemblaient trop. Les différences de couleur sont aussi parfois si grandes entre mâles et femelles qu’il faut souvent avoir recours à un élevage pour confirmer. Bref, un terrain de jeu fascinant pour moi!
J’arrive déjà à tirer des déductions intéressantes sur mes observations des insectes présents dans ce secteur durant l’été. Par exemple, la présence de quelques Ichneumon centrator retrouvés dans les bûches et l’absence quasi totale de Isia isabella, comparativement aux autres habitats que j'explore, me laisse penser que I. centrator fait drôlement bien son travail de parasitoïde car Isia isabella est la chenille hôte dans laquelle il pond. Dans d’autres secteurs, avant les neiges, cette chenille brune orangée très commune est abondante.
Le point d’interrogation sur mon aide-mémoire photographique correspond à une espèce dont on ne connaît pas encore le cycle de ponte. C’est un peu comme si on jouait au détective avec les Ichneumonidae. Sur quelles populations de chenilles exercent-elles un contrôle ? Toujours des questions sans réponses qui nous montrent à quel point ce domaine est ouvert et qu’il y a de la place pour des jeunes intéressés à en faire leur profession.
Toute information sur ce groupe m’intéresse : vous pouvez d’ailleurs me faire parvenir vos découvertes encore vivantes dans un petit ziploc remplis de fleurs; elles aiment se nourrir du pollen et du nectar. À m’envoyer simplement par la poste en express.
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