Confirmation de la présence de la Veuve noire du Nord, Latrodectus variolus (Walckenaer 1837) (Theridiidae : Araneae), et répartition de l'espèce au Québec
P. Paquin (1), V. Urquhart (2), G. Arbour (3), M.E. Dupuis (4)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
2. Sainte-Cécile de Masham
3. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com
4. 960 rue Chambly, Marieville, QC, J3M 1H3, Canada. Courriel : medupuis@yahoo.com
Résumé. Une femelle Latrodectus variolus (Walckenaer 1837) a été capturée à Sainte-Cécile-de-Masham avec trois sacs d'œufs : un vide, un de 147 petites araignées sur le point de se disperser, et un troisième avec 137 œufs non-éclos. Ces données confirment que l'espèce se reproduit dans la province. La répartition géographique est mise à jour et 4 localités sont maintenant connues au Québec. La variabilité de la coloration et quelques aspects de la biologie sont présentés. Il s'agit de la première araignée de la faune québécoise dont la morsure présente un risque pour la santé.
Mots clés. araignées du Québec, venin neurotoxique, Veuve noire du Nord.
Abstract. A female Latrodectus variolus (Walckenaer 1837) was collected in Sainte-Cécile-de-Masham along with three egg sacs: an empty one, a second with 147 spiders about to disperse and a third one containing 137 unhatched eggs. These records confirm that the species reproduces in the province. We present an update of its distribution now with 4 known localities in Quebec. Color variation and a few aspects of its biology are presented. It is the first spider found in Quebec, the bite of which may present a health risk.
Keywords. spiders of Quebec, neurotoxic venom, Northern Black Widow.
Introduction
L'intérêt du grand public pour la nature et les êtres vivants est en nette hausse depuis les dernières décennies. De nombreux sites Internet nés de cet enthousiasme constituent maintenant d'excellents moyens d'obtenir des informations et d'établir des collaborations. C'est ainsi que V. Urquhart a publié sur la page Facebook dédiée aux araignées du Québec, des photographies d'un spécimen (fig. 1–2) trouvé à sa demeure. Cette araignée avait été identifiée « Veuve noire » par V. Urquhart, mais étant donné la réputation des espèces de ce genre, on demandait une confirmation. Ces photographies ont attiré l'attention de P. Paquin qui a confirmé que le spécimen photographié était probablement Latrodectus variolus. Cependant, il est nécessaire de confirmer l'identification d'une araignée par l'examen d'un spécimen adulte au stéréoscope, particulièrement des pièces génitales qui possèdent les caractères nécessaires pour une détermination fiable des espèces (Paquin & Dupérré 2003). Cet échange a conduit à une visite à Sainte-Cécile-de-Masham dans le but de capturer des spécimens additionnels et de confirmer l'identification.
Résultats
La recherche s'est effectuée là où l'espèce a été aperçue à deux occasions. En se fiant à notre expérience avec d'autres espèces [Latrodectus mactans (Fabricius 1775) aux États-Unis et Latrodectus katipo Powell 1871 en Nouvelle-Zélande (Vink et al. 2008)], les habitats propices ont été examinés. Les Latrodectus d'Amérique du Nord se trouvent habituellement dans des habitats sombres et peu perturbés : sous les terrasses et balcons, dans les remises et garages, parmi le matériel de jardinage qui s'empile et le long des murs extérieurs. Après deux heures de recherche, y compris dans la pile de pierres ornementales où un spécimen avait été observé, aucun Latrodectus n'a été vu. Ce fait suggère que cette araignée peut être difficile à trouver, même si elle a été observée dans les semaines précédentes. Toutefois, l'examen du couvercle de protection en bois de la fosse septique a permis de localiser une toile particulièrement résistante au déchirement. C'est une caractéristique des toiles de Latrodectus. Une femelle s'y trouvait ainsi que trois sacs d'œufs. La femelle a été capturée et gardée vivante à des fins de photographie (fig. 3–6) puis préservée en alcool, de même que les trois sacs d'œufs. Les photographies de G. Arbour sur la page Facebook Araignées du Québec ont généré beaucoup de discussions parmi les usagers du site, ce qui attiré l'attention de M.E. Dupuis qui a rapporté une observation additionnelle documentée par une photographie prise à Marieville (fig. 7).
Nous présentons une revue de la distribution de L. variolus au Québec en incluant les mentions de la littérature, les données des spécimens conservés (CPAD : Collection Paquin et Dupérré, Shefford) et exceptionnellement, une mention tirée d'une photographie jugée fiable.
Données de récolte
Inédites, publications et photographies.
CPAD : Collection Paquin et Dupérré (Shefford).
Latrodectus variolus (Theridiidae)
CANADA : Québec : Deux-Montagnes : Deux-Montagnes [45.5081, -76.0001] 2016 (Wang et al. 2018) • Le Haut-Saint-Laurent : Godmanchester [45.1200, -74.1718] 2012 (Wang et al. 2018) • Les Collines-de-l'Outaouais : Sainte-Cécile-de-Masham [45.6490, -76.0576] parmis les pierres au sol, 1(?) 06.viii.2019, V. Urquhart (photographie) • 29.viii.2019, sous un couvercle de fosse septique en bois, capture manuelle, 1, 3 sacs d'œufs, P. Paquin & V. Urquhart (CPAD) • Rouville : Marieville [45.4328, -76.1604] vii.−xi.2019, 1 imm. (?), M.E. Dupuis (photographie).
Wang et al. (2018) ont documenté la répartition géographique de L. variolus en Amérique du Nord, et rapporté les deux premières mentions au Québec : une de Godmanchester datant de 2012 et une de Deux-Montagnes datant de 2016. Nous avons utilisé ces données disponibles pour faire une mise à jour de la répartition de l'espèce en ajoutant nos mentions et observations (fig. 8). Toutes les mentions du Québec sont indiquées.
Discussion
L'examen de la structure génitale du spécimen capturé à Sainte-Cécile-de-Masham confirme qu'il s'agit bien de Latrodectus. Toutefois, comme le mentionne Dondale (2002), l'examen des pièces génitales ne permet pas de diagnostiquer L. variolus ou de le différencier des autres espèces semblables : L. mactans (la Veuve noire) ou Latrodectus hesperus Chamberlin & Ivie 1935 (la Veuve de l'Ouest, connue au Canada de BC, AB et SK, Paquin et al. 2010). Ceci est surprenant considérant leur importance médicale et l'attention taxonomique que ces espèces ont reçue (Levi 1959, McCrone & Levi 1964, Kaston 1970). Même les génitalia mâles, qui habituellement procurent les caractères pour un diagnostic fiable, sont peu utiles. Ce fait explique que L. variolus a longtemps été confondu avec L. mactans, jusqu'à ce que McCrone & Levi (1964) statuent que ces deux espèces sont distinctes, situation qui prévaut encore aujourd'hui. Les limites entre ces espèces sont supportées par les analyses de venin réalisées par McCrone (1967) et les résultats génétiques de Garb et al. (2004). Pour l'identification des Latrodectus d'Amérique du Nord, les patrons de couleurs et la répartition géographique permettent d'assigner un nom d'espèce (Kaston 1970, Dondale 2002).
Comme plusieurs des 32 Latrodectus connues (WSC 2021), L. variolus est noirâtre et d'un aspect luisant. Cette araignée possède des taches rouge clair sur le dessus de l'abdomen, mais il est possible de déceler des taches allongées sur les portions latérales de l'abdomen. Les photographies présentées donnent des exemples de variabilité de la coloration. Le premier spécimen photographié (fig. 1–2) possède des taches bien définies et cernées de blanc tandis que le deuxième spécimen, capturé au même endroit (fig. 3–6), possède des taches moins nettes et sans contour. En Nouvelle-Zélande, on a longtemps cru à la présence de deux espèces de Latrodectus alors qu'en réalité, Vink et al. (2008) ont démontré qu'il s'agissait d'une seule espèce avec une coloration variable. Cette variation semble liée à la latitude et à la température avec une coloration plus sombre dans les régions plus froides. La température affecterait-elle aussi la coloration de L. variolus ? C'est possible, mais pour l'instant, les causes de cette variabilité demeurent obscures même si les différents motifs de couleurs sont bien connus (Kaston 1970).
Toutes proportions gardées, les femelles possèdent un abdomen de grande dimension et la position adoptée dans leur toile est typique : le plus souvent suspendues à l'envers, l'abdomen vers le bas (fig. 5–6). Hors de la toile, leur morphologie ne les prédispose pas à une grande mobilité et elles se déplacent avec lourdeur.
L'analyse des sacs d'œufs démontre que cette espèce se reproduit au Québec; le premier sac était vide, ce qui signifie que les œufs sont éclos et les araignées immatures dispersées. Le deuxième sac contenait 137 petites araignées sorties des œufs, mais encore dans le sac de soie, et le troisième, 147 œufs non éclos. Kaston (1970) rapporte qu'une femelle L. variolus peut pondre entre 6 et 9 sacs d'œufs et que le plus grand nombre d'œufs observé est de 315 avec une moyenne de 164 par sac. Les valeurs observées avec nos captures sont légèrement inférieures, mais démontrent qu'une seule femelle fécondée peut engendrer un grand nombre de descendants dans une même saison.
La visualisation de la répartition connue de L. variolus permet de constater que le spécimen de Sainte-Cécile-de-Masham (#1, fig. 8) est la mention la plus nordique connue. Considérant la répartition de l'espèce, les mentions du Québec ne constituent qu'une petite extension d'aire vers le nord. À l'est, les mentions du New Hampshire, du Massachusetts et du Rhode Island sont les plus significatives. Toutefois, la mention de Sainte-Cécile-de-Masham est d'intérêt puisqu'elle démontre que cette araignée se reproduit sur notre territoire. Latrodectus variolus est connu de latitudes semblables depuis longtemps en Ontario, particulièrement au nord de Toronto (Pengelly 1957, Judd 1965). Attribuer cette addition à la faune du Québec aux changements climatiques semble hasardeux compte tenu de la petite extension rapportée.
La présence non accidentelle au Québec de Latrodectus est d'intérêt médical à cause du venin neurotoxique qui caractérise ce genre (McCrone 1964, Garb et al. 2004). Les craintes inspirées par la présence de L. variolus au Québec sont similaires à celles causées par les premières mentions en Nouvelle-Angleterre rapportées par Kaston en 1954.
Dondale (2002) résume les réactions provoquées par les envenimations de Latrodectus. Les symptômes physiques apparaissent après environ 15 minutes et durent normalement 48 heures. En cas de morsure, il faut éviter l'utilisation d'alcool qui accélère la propagation et potentialise l'effet du venin. Après une morsure, il y a peu ou pas de douleur immédiate là où la morsure s'est produite, mais une douleur intense se développe rapidement aux aisselles et aux aines. Cette douleur s'étend ensuite rapidement à la région lombaire et aux muscles abdominaux. Suivent des nausées, des maux de tête, des crampes, une augmentation des rythmes respiratoire et cardiaque qui s'enchaînent dans une séquence rapide. Bien qu'il n'y ait aucun cas de morsures de L. variolus publié à ce jour, Dondale (2002) précise tout de même que l'antivenin produit pour L. mactans est efficace pour tous les Latrodectus d'Amérique du Nord.
L'efficacité de l'antivenin développé dans les années 40 semble fondée puisqu'il n'y a plus de mortalité liée aux morsures de Latrodectus sur notre continent (Monte 2012). Il faut cependant préciser que les conséquences négatives de la morsure des espèces du genre sont maintenant mieux connues du grand public, ce qui a sans doute contribué à plus de prudence à leur égard. Toutefois, il est recommandé de limiter l'utilisation de l'antivenin puisque les effets secondaires, notamment une réaction allergique sévère ou une hypersensibilité retardée, peuvent être plus graves que la morsure elle-même (Binder 1989, Anderson 1997).
Latrodectus variolus est la première araignée du Québec dont la morsure peut présenter un risque pour la santé humaine à cause de son venin neurotoxique, ce qui mérite attention. Cette araignée est de nature plutôt discrète et ne cherche pas à mordre, mais cette timidité n'élimine pas les risques d'envenimations accidentelles. Au Québec, L. variolus est rare avec seulement 4 localités connues. Cette situation contraste fortement avec les états de la Côte Est des États-Unis, où L. mactans est abondante. À proximité des maisons de location de Caroline du Nord, le long des plages, le premier auteur a capturé L. mactans dans chacune des cours arrières inspectées, et pourtant, aucun cas de morsures ne fait la manchette de cette région. Au Québec, nous suggérons d'apprendre à reconnaître cette araignée et d'éviter son contact. En cas de doute sur l'espèce, il est préférable de prendre des photographies de bonne qualité et de les acheminer à des autorités compétentes pour obtenir un avis préliminaire sur l'identification.
Remerciements
Nous remercions Claude Simard, André Cadotte et Geneviève Duchesne pour la révision du texte.
Références
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