Cette famille compte cinq espèces au Québec, qui se reconnaissent par l’arrangement rectiligne des six filières, un caractère qui les distingue de toutes les autres familles. Certains auteurs ont élargi les limites des Hahniidae pour inclure des genres qui ne possèdent pas cette caractéristique morphologique. Par exemple, Lehtinen (1967) y place le genre Cryphoeca, position retenue dans le catalogue mondial de Platnick (2002). Plusieurs arachnologues ne sont pas en accord avec cettte définition et préfèrent placer le genre Cryphoeca dans les Dictynidae pour respecter la conception plus traditionnelle des Hahniidae (Merrett et Murphy 2000). Il est souhaitable que des travaux futurs traitent cette question afin de clarifier la position de ce genre et les relations phylogénétiques toujours obscures entre les Dictynidae, les Agelenidae et les Hahniidae. Nous préférons adopter la définition qui limite les Hahniidae aux genres et aux espèces qui possèdent six filières alignées.
La taxonomie de Hahniidae d’Amérique du Nord est bien connue grâce aux révisions de Gertsch (1934), Exline (1938), Bryant (1941), Chickering (1963) et Opell et Beatty (1976).
Les Hahniidae tissent de délicates toiles en forme de petits draps dans la mousse, dans la litière des forêts et dans les petites dépressions à la surface du sol (Roberts 1995). Ces structures, qui mesurent à peine 4 cm de diamètre, sont difficiles à localiser. Elles deviennent plus visibles lorsqu’elles sont couvertes de rosée tôt le matin. Contrairement aux toiles des Agelenidae, celles des Hahniidae ne se terminent pas par une retraite. Les araignées se positionnent plutôt sous cette mince couverture de soie en attendant qu’une proie s’y pose ou y tombe pour la saisir. Opell et Beatty (1976) mentionnent la possibilité que les Antistea et Hahnia ne tissent pas de toiles. Contrairement aux Neoantistea, on ne les a jamais observés sur des toiles. Ces auteurs précisent cependant que des structures aussi délicates peuvent facilement passer inaperçues.
Le régime alimentaire des Hahniidae est peu connu. En laboratoire, Opell et Beatty (1976) mentionnent Neoantistea agilis se nourrissant d’une larve de Tribolium (Coleoptera : Tenebrionidae) de 7 mm. Ils supposent que les jeunes araignées se nourrissent surtout de collemboles dans des conditions naturelles. Ces auteurs rapportent également quelques observations sur la ponte d’une Neoantistea agilis en laboratoire. Les sacs d’oeufs forment un petit monticule couvert de soie blanche de 4 mm de diamètre et 2 mm d’épaisseur. Après 16 jours d’incubation, sept jeunes araignées en sont sorties.
La phénologie des Hahniidae indique deux périodes pour la reproduction : une première vers la fin avril et une seconde, plus importante, de la mi-août à la mi-septembre. Opell et Beatty (1976) rapportent que Neoantistea magna est abondante aux mois d’avril et de juillet, tandis que Neoantistea agilis est abondante aux mois de mai et d’août. Cette différence phénologique pourrait être un mécanisme permettant la coexistence et l’isolement reproducteur de ces deux espèces, qui se trouvent dans les mêmes habitats.
Hahnia cinerea et Antistea brunnea sont communes au Québec. Elles sont fréquentes dans les échantillons provenant de pièges-fosses installés en forêt. Neoantistea agilis, la plus grande hahniide avec ses 3 mm, est largement répandue dans la province. Hutchinson et Bélanger (1993) mentionnent la capture d’un exemplaire de cette espèce dans la région de la Gaspésie. Opell et Beatty (1976) stipulent qu’Antistea brunnea et Hahnia glacialis sont des espèces aux affinités boréales. D’après Paquin et LeSage (2001), la répartition d’A. brunnea correspond aux espèces de l’est du continent, tandis que Hahnia glacialis se distingue par ses affinités alpines et nordiques, au Yukon et en Alaska. Cette dernière a d’ailleurs été décrite à partir de spécimens récoltés au Groënland au cours d’une expédition à la fin du XVIIIe siècle (Sørensen 1898). Hahnia glacialis est aussi connue de localités qualifiées d’îlots nordiques se trouvant sous des latitudes plus méridionales, comme les sommets du Parc de la Gaspésie et de la région de Charlevoix.
Les Hahniidae possèdent des structures présumément stridulatoires, constituées d’une râpe sur la partie postérieure du céphalothorax, et deux grattoirs sur la partie dorsale de l’abdomen, sur lesquels frotterait la râpe (Kaston 1948). Cependant, le comportement stridulatoire comme tel n’a jamais été observé chez les Hahniidae.
Les trois genres de Hahniidae présents au Québec se distinguent facilement grâce à la position du stigmate trachéen et aux proportions des segments qui composent les filières, comme l’avait fait remarquer Gertsch dès 1934. L’identification des espèces se fait en comparant les genitalia des spécimens matures. Chez les mâles, les tibias des palpes sont munis d’une épine saillante, recourbée ou droite, qui facilite la reconnaissance des espèces. L’examen attentif du palpe en vue ventrale, en particulier de l’embolus et du conduit séminal, permet une identification sûre. Pour les femelles, la tâche est un peu plus ardue puisque les épigynes ne possèdent pas de structures externes bien développées : elles se limitent à des fentes et à des ouvertures circulaires sans caractéristiques marquées. Les structures internes appelées spermathèques, sont beaucoup plus élaborées et diffèrent d’une espèce à l’autre. Chez la plupart des araignées, il est nécessaire de procéder à une dissection de la face ventrale de l’abdomen des femelles pour extraire les spermathèques, de les nettoyer les tissus qui gênent l’observation et de les comparer avec les illustrations. Heureusement, chez les Hahniidae, les spermathèques sont souvent visibles par transparence, ce qui permet de les étudier sans effectuer de dissection.
Bien que la morphologie des spermathèques soit stable, Opell et Beatty (1976) rapportent que cette structure montre de la variabilité chez N. agilis.
Les Cicurina montrent un degré surprenant de variabilité morphologique. La taille, les motifs de couleur et même les genitalia, qui habituellement sont très stables au sein d’une espèce, sont variables, rendant parfois l’identification des espèces difficile. Les Cicurina sont associées à la litière des forêts. Kaston (1948) mentionne que des individus matures se rencontrent toute l’année, mais des récoltes récentes suggèrent que les Cicurina sont plus abondantes tard dans la saison, durant l’automne jusqu’en hiver (Aitchison 1984). Cicurina brevis est la plus commune du genre au Québec et sa répartition atteint les latitudes nordiques, où elle se trouve en compagnie de C. arcuata. Fait intéressant, une cinquantaine d’espèces de Cicurina sont endémiques aux grottes du Texas (Gertsch 1992). Elles possèdent les adaptations morphologiques classiques des organismes troglodytes : allongement des pattes, réduction de la pigmentation et réduction partielle ou complète des yeux.