Les araignées synanthropes du Québec

P. Paquin (1),  A. Rousseau (2), G. Arbour (3)
1. Scienceinfuse Inc., 12 Saxby Sud, Shefford, QC, J2M 1S2, Canada. Courriel : pierre.paquin123@gmail.com
2. 165 A, rang Bas-de-la-Rivière Sud, Saint-Césaire, QC, J0L 1T0, Canada. Courriel : arousseau80@hotmail.com
3. 294 Woodland, Otterburn Park, QC, J3H 4B8, Canada. Courriel : gillesarbour@gmail.com

Résumé. Nous présentons une synthèse des araignées du Québec associées aux humains et à leurs habitations (espèces synanthropes). Il n'existe pas d'espèces exclusives aux habitations puisque toutes les araignées synanthropes se trouvent en nature, quelque part sur la planète. D'un point de vue évolutif, les habitations humaines sont beaucoup trop récentes pour permettre l'existence de spécialistes de cet habitat. Un total de 28 espèces sont retenues dans la liste des araignées synanthropes du Québec et la plupart ont été introduites en Amérique du Nord. Nous présentons un survol de la biologie de chacune de ces espèces, principalement quant à leur habitat et leur rareté. Ces araignées sont présentées dans deux planches photographiques pour faciliter leur identification. Pholcus phalangioides et Cheiracanthium mildei sont les plus communes à l'intérieur des habitations du Québec. Des additions à cette liste sont à prévoir avec l'acquisition de connaissances.
Mots clés. araignées du Québec, espèce introduite, espèce rare, Pholcus phalangioides, Cheiracanthium mildei

Abstract. We are presenting a summary of Quebec spiders associated with humans and their houses (synanthropic species). No spiders are exclusive to houses since all synanthropic species are found in the wild, somewhere on the planet. From an evolutive perspective, human houses are too recent to allow the existence of such specialists. We are including 28 species in this category, the majority of which are introduced into North America. We are providing two photographic plates to facilitate their recognition. Pholcus phalangioides and Cheiracanthium mildei are the most common inside houses. An overview of the biology of each species is presented, particularly habitat preferences and rarity. Additions to the list are likely to occur with additional data.
Keywords. spiders of Québec, introduced species, rare species, Pholcus phalangioides, Cheiracanthium mildei

Introduction

Certaines personnes ont tendance à croire que les araignées trouvées dans les maisons y sont cantonnées, comme s'il s'agissait du seul environnement viable pour elles. Bien qu’il soit vrai que certaines espèces soient étroitement associées au confort de nos murs, détrompez-vous ! Aucune araignée n'est spécialiste des habitations, contrairement au mythe. Cette fausse impression est renforcée par l'idée que les araignées ne pourraient supporter les températures glaciales de l'hiver québécois. Nous faisons alors une fausse inférence quant à leur fragilité face aux rigueurs de notre climat. La plupart ne sont pas actives à l’extérieur pendant l'hiver; elles passent plutôt cette période en état de torpeur, bien camouflées sous des pierres, dans des feuilles mortes de la litière forestière ou encore sous forme d’œufs enveloppés dans un sac de soie (Lapointe & Paquin 2022). Toutes les espèces qui habitent notre province possèdent des stratégies pour survivre à la période froide de l’année, sans quoi elles seraient simplement éliminées de notre faune. Il est cependant vrai qu'une araignée trouvée en janvier dans le salon ne pourra survivre aux conditions externes si elle est « reconduite » dehors, même avec une grande délicatesse. Le changement de température serait trop brutal pour permettre la survie.

Les araignées existent sur terre depuis au moins 380 millions d’années (Shear et al. 1987); elles ont évolué avec succès bien avant l’apparition des Hominidae sur terre et bien avant l’avènement des constructions humaines à l'époque du paléolithique. On estime que les premières structures remontent à une période située entre 1 800 000 et 175 000 ans (Barnard 2011, Soressi 2016) mais cette estimation ne fait pas consensus. Toutefois, les premières habitations humaines (proto-maisons) datent de 15 000 ans (Tattersall 2013) et d’un point de vue évolutif, elles sont beaucoup trop récentes pour permettre la spéciation ou l’existence d’espèces spécialistes de cet environnement. Certaines araignées ont cependant « adopté » les habitations pour y vivre. Au Québec, la plupart de ces espèces proviennent de pays aux conditions similaires (climat et température) à ce que présente l’intérieur de nos habitations. Ces araignées ne sont pas indigènes en Amérique du Nord; elles ont été introduites accidentellement par l'activité humaine et sont qualifiées d’espèces synanthropes.

Au Québec, la dernière liste faunistique recense 694 espèces d’araignées (Paquin & Simard 2021), mais seulement quelques-unes sont synanthropes. Dans les lignes qui suivent, nous proposons un survol des espèces du Québec associées aux humains et à leurs habitations.

Matériel et méthodes

La liste présentée est une compilation de nos propres récoltes, de mentions de la littérature et d'observations faites à partir de la page Facebook les Araignées du Québec où de nombreuses demandes d'identification sur des araignées photographiées dans les demeures  sont soumises par les usagers.

Résultats

Le tableau 1 rapporte 28 espèces d'araignées du Québec associées aux humains et leurs habitations. On y précise si ces espèce sont introduites ou indigènes, et si elle sont connues de récoltes à l'intérieur, l'extérieur ou en nature. La plupart de ces araignées sont présentées dans deux planches photographiques (fig. 1−2) qui permettront une identification sommaire.

Tableau 1. Les espèces d'araignées synanthropes du Québec (associées aux humains et leurs habitations.)

Discussion

Les deux araignées les plus communes de nos habitations sont sans contredit Pholcus phalangioides et Cheiracanthium mildei. Bien que ces deux espèces introduites vivent dans pratiquement toutes les demeures du sud du Québec, curieusement, nous ignorons les limites de leur répartition géographique, particulièrement l'étalement vers le nord. Il y a fort à parier cependant qu'elles occupent les mêmes territoires que les humains, bien que la seule carte connue de C. mildei ne mentionne pas sa présence au Québec (Dondale & Redner 1982). La situation est similaire pour P. phalangioides : Huber (2011) commente que cette espèce est cosmopolite, mais que la distribution à petite échelle de l'espèce est inconnue. Paquin et al. (2010) la rapportent dans presque toutes les provinces canadiennes et pour l'Amérique du Nord, seule la mention « largement répartie » est donnée (Huber 2017).

Hutchinson & Bélanger (1999) avaient documenté la présence de huit espèces étroitement associées aux humains et leurs à habitations. Nous avons retranché Enoplognatha ovata (Clerck 1757) de cette liste, puisque bien que commune, elle ne présente pas d'affinité particulière avec les humains.

Présentation des espèces

Figure 1. Araignées associées aux humains et leurs habitations. a) Agelenopsis potteri, b) Tegenaria domestica, c) Araneus diadematus, d) Larinioides cornutus, e) Larinioides patagiatus, f) Cheiracanthium mildei, g) Herpyllus ecclesiasticus, h) Dysdera crocata, i) Lepthyphantes leprosus, j) Neriene montana, k) Nesticus cellulanus, l) Crossopriza lyoni, m) Pholcus phalangioides.

Agelenopsis potteri (fig. 1a) est une araignée très commune dans la nature où elle tisse une toile typique en forme d'entonnoir, comme les autres espèces de cette famille. Ces toiles se trouvent parfois en grand nombre dans les arbustes et les haies près des habitations, mais aussi dans les constructions humaines extérieures, le mobilier de jardin, dans les coins ou contre les murs extérieurs. La rosée des matins d'été parvient fréquemment à mettre en relief les nombreuses toiles dispersées dans l'environnement. Ces araignées se réfugient dans le trou de leur toile en entonnoir et bondissent sur les proies qui se posent sur la partie plane de la toile. Elles sont particulièrement rapides et fréquentes à l'intérieur des maisons, quoique leur présence soit plutôt accidentelle.

Eratigena atrica a rarement été trouvée au Québec, bien qu'elle ne passe pas facilement inaperçue. Elle ressemble superficiellement à Tegenaria domestica, mais elle est plus élancée et d'une taille beaucoup plus imposante (Paquin & Dupérré 2003). Les spécimens connus du Québec ont été récoltés à l'intérieur des habitations, mais une population établie à l'extérieur d'un complexe domiciliaire de Deux-Montagnes a été découverte en 2021.

Tegenaria domestica (fig. 1b) est une espèce synanthrope commune à l'intérieur de nos habitations. Le motif de l'abdomen permet de la reconnaître avec facilité. Il n'est pas rare d'apercevoir un mâle qui se déplace à la recherche d'une femelle qui, elle, est plus sédentaire. Elle confectionne une toile semblable à celle de A. potteri dans les endroits sombres et reclus à l'intérieur des maisons. Celle-ci est souvent couverte de poussières ou déchirée sous le poids des débris qu'elle contient.

Araneus diadematus (fig. 1c) ne se trouve pas à l'intérieur des demeures, mais tisse plutôt de grandes toiles orbiculaires près des habitations. Cette proximité fait aussi qu'elle se trouve parfois dans les habitations; les araignons, qui sont de petite taille, peuvent parfois tisser de minuscules toiles dans cet habitat hospitalier et des adultes peuvent s'infiltrer à l'automne lorsque des plantes sont rentrées à l'intérieur, mais la présence de cette espèce dans nos logis demeure accidentelle. Levi (1971) mentionne qu'A. diadematus est essentiellement urbaine et ne se trouve que dans les buissons des villes, tandis que Dondale et al. (2003) précisent que sa présence en Amérique du Nord se limite à proximité des grandes villes portuaires. Curieusement, nous constatons maintenant que c'est l'une des araignées les plus communes près des habitations sur l'ensemble du territoire peuplé du Québec. Elle semble étroitement associée à ce type d'habitat car elle n'est pas trouvée dans les milieux naturels, où Araneus marmoreus, une espèce similaire, est présente.

Larinioides cornutus (fig. 1d), Larinioides patagiatus (fig. 1e) et Larinioides sclopetarius sont trois espèces de la famille des Araneidae qui, comme pour A. diadematus, ne se trouvent pas à l'intérieur des habitations mais tissent plutôt des toiles sur les murs extérieurs des habitations et diverses structures humaines (ponts, clôtures, etc.) (Levi 1974, Dondale et al. 2003). Ces trois espèces sont présentes en Europe et il n'est pas certain qu'elles aient été introduites en Amérique du Nord. Elles pourraient aussi être holarctiques : naturellement présentes des deux côtés de l'Atlantique (LeSage & Paquin 2001). Leur étroite association avec les humains résulte en une vaste répartition géographique qui couvre maintenant de l'Europe à l'Asie en plus de l'Amérique du Nord. Certains considèrent L. sclopetarius introduit en Amérique du Nord plutôt que holarctique, mais les raisons derrière cette affirmation demeurent obscures.

Introduite d'Europe vers 1949 (Bryant 1952), Cheiracanthium mildei (fig. 1f) est une araignée commune des maisons et logis du Québec, comme partout en Amérique du Nord. Elle est reconnaissable par son aspect translucide et verdâtre, ses tarses foncés et la marque cardiaque souvent évidente. Elle confectionne de petits abris de soie situés à la jonction des murs et des plafonds dans lesquels elle se réfugie. Cette espèce a longtemps été l'objet de désinformation puisque sa morsure a été accusée de causer des nécroses, ce qui est maintenant démenti (Vetter et al. 2006). Toutefois, la morsure de cette espèce peut causer des inflammations cutanées, des rougeurs, de la douleur et des démangeaisons, qui se résorbent en quelques jours (McKeown et al. 2014). Les effets de la morsure de C. mildei sont cependant comparables à ceux d'autres espèces communes rapportées par ces auteurs. Cheiracanthium mildei ne présentent pas plus de risques pour la santé qu'une autre espèce, mais l'abondance de cette araignée dans les habitations et la grande proximité avec les humains expliquent qu'elle soit souvent en cause dans les cas de morsures documentées en Amérique du Nord. Au Québec cependant, malgré l'ubiquité de cette espèce dans le sud du Québec, les cas de conséquences sérieuses de sa morsure sont rares.

Dysdera crocata (fig. 1h) est une espèce étroitement associée aux aménagements extérieurs urbains comme les jardins, où elle se réfugie sous les pierres et les objets au sol, mais elle est aussi connue de sous-sols humides de la région de Montréal (Hutchinson & Cayouette 1993, Paquin & Nicolaescu 2018). Bristowe (1958) rapporte que D. crocata chasse les fourmis, les perce-oreilles et les escargots, mais il semble que cette araignée affectionne particulièrement les cloportes (Isopodes). Il décrit comment D. crocata fait pivoter son céphalothorax pour insérer un des ses longs crochets dans la partie molle des cloportes, tandis qu’avec l’autre, elle perfore la partie dorsale, plus dure. La présence et l'abondance de ce type de proie expliquent peut-être le choix d'habitat observé pour cette araignée au Québec.

Herpyllus ecclesiasticus (fig. 1g) est facilement reconnaissable au motif en forme de sceptre inversé qui se trouve sur la face dorsale de son abdomen, un motif qui ne ressemble à aucune autre espèce connue de la province. Il s'agit d'une araignée trouvée dans une grande diversité d'habitats extérieurs : sous des écorces, sous des pierres, dans de la mousse, dans la litière (Platnick & Shadab 1977, Kaston 1981, Bélanger & Hutchinson 1992, Platnick & Dondale 1992). Pour des raisons inconnues, elle est aussi fréquente à l'intérieur des habitations, ce que confirment ces auteurs et les nombreuses observations rapportées sur la page Facebook Les araignées du Québec.

Lepthyphantes leprosus (fig. 1i) est quelquefois trouvé dans des habitats extérieurs naturels, mais il s'agit d'une espèce synanthrope commune à l'intérieur et à l'extérieur d'habitations humaines (Kaston 1981, Bélanger & Hutchinson 1992, Buckle et al. 2001). En Europe, d'où elle origine probablement, elle démontre les mêmes affinités pour l'intérieur et l'extérieur des constructions humaines (Roberts 1995).

Neriene montana (fig. 1j) a été rapportée pour la première fois en Amérique du Nord par Lapointe & Hutchinson (1992), bien que les premières récoltes de cette espèce en Amérique du Nord remontent à 1915. De nos jours, c'est une des espèces les plus communes autour des habitations et dans les structures humaines extérieures, mais elle se trouve aussi dans les milieux naturels perturbés.

Nesticus cellulanus (fig. 1k) est une espèce rarement trouvée. Elle est introduite d'Europe et en 1984, toutes les mentions connues en Amérique du Nord proviennent d'intérieurs d'habitations humaines (Gertsch 1984). Cette araignée a été incluse dans Paquin & Dupérré (2003) sur la base d'un seul exemplaire récolté dans une habitation en 1958 à Sainte-Anne-de-Bellevue. Toutefois, Paquin & Monfette (2018) ont confirmé la présence de l'espèce au Québec grâce à des spécimens récoltés à l'extérieur sous le couvercle d'une fosse septique, puis Paquin et al. (2020) ont découvert la première population sauvage sous des pierres dans un boisé, à quelques centaines de mètres d'une école de Terrebonne. Enfin, Rodrigue & Paquin (2022) rapportent une importante population dans un vide sanitaire sous une habitation de la région de Bondville. À la lumière de ces dernières données, cette espèce est probablement plus commune qu'on ne le croyait puisque ses affinités écologiques ne se limitent pas à l'intérieur des habitations.

Oecobius navus est une minuscule espèce cosmopolite et synanthrope (Shear 1970) récoltée seulement à deux reprises au Québec (Bélanger & Hutchinson 1992, Paquin & Dupérré 2003). Elle est associée à l'intérieur des bâtiments où elle tisse de minuscules toiles dans les coins des murs et des planchers.

Pholcus phalangioides (fig. 1m) est une des espèces les plus communes dans nos maisons avec C. mildei. Elle est aussi fréquente à l'extérieur, souvent trouvée à proximité des constructions humaines. Elle accompagne l'humain dans ses voyages et conquêtes depuis si longtemps que nous ignorons l'origine précise de cette espèce qui est introduite partout sur la planète et qualifiée de cosmopolite (Huber 2011). Jusqu'à récemment, il s'agissait de la seule espèce de la famille présente dans l'est du Canada (Paquin et al. 2010), ce qui facilitait grandement son identification. Ses longues pattes, son abdomen cylindrique, sa position inversée dans une toile désordonnée et les femelles avec leur sac d'œufs permettaient une identification facile et rapide. Toutefois, à partir de 2021, la situation se corse puisqu'une deuxième espèce de Pholcidae est découverte : Crossopriza lyoni (fig. 1l) (Bourque et al. 2022), puis une troisième (Pholcus opilionoides) (Brousseau & Dupuis 2022). Ces trois espèces partagent le même type d'habitat et possèdent une apparence similaire, quoique C. lyoni soit un peu plus grande et munie d'un abdomen plus sphérique. L'examen des génitalia, qui procure une détermination fiable des espèces, devra être utilisé dans les années à venir pour apporter des précisions sur ces deux additions à la faune québécoise.

Figure 2. Araignées associées aux humains et leurs habitations, suite. a) Dolomedes tenebrosus, b) Attulus fasciger, c) Salticus scenicus, d) Parasteatoda tabulata, e) Trachelas tranquillus, f) Meta ovalis, g) Steatoda borealis, h) Steatoda bipunctata.

Dolomedes tenebrosus (fig. 2a) est une des plus grandes espèces du Québec avec ses 26 mm (céphalothorax + abdomen), ce qui résulte souvent en une comparaison avec la paume d'une main ouverte en tenant compte des pattes. Comme les autres Pisauridae, elle est plutôt associée aux milieux humides, mais il n'est pas rare de l'apercevoir à bonne distance des plans d'eau (Carico 1973, Dondale & Redner 1990). Elle est même commune dans les milieux forestiers et à l'extérieur des habitations où elle ne passe pas inaperçue à cause de sa grande taille. Certains auteurs rapportent aussi sa présence à l'intérieur des habitations (Carico 1973, Hutchinson et al. 1993), ce que confirment plusieurs mentions de la page Facebook Les araignées du Québec. Les Pisauridae sont bien connus pour leurs comportements maternels, le transport de leur sac d'œufs par les chélicères et le fait qu'elles attrapent des petits poissons pour s'en nourrir. Plutôt timides et nerveuses, les araignées de cette famille ne sont pas agressives, mais peuvent infliger une morsure douloureuse si elles sont manipulées de façon imprudente.

Attulus fasciger (fig. 2b) et Attulus finschii sont deux salticides d'allure similaire et aux motifs très variables communément trouvés en compagnie des humains. Attulus finschii est une espèce indigène, tandis qu'A. fasciger est introduite en Amérique du Nord. Buckle (2022) retrace l'arrivée de cette espèce au Canada et sa progression sur le territoire. Les deux espèces partagent le même type de niche écologique à proximité des humains : à l'intérieur des habitations, souvent près des fenêtres et à l'extérieur, sur les murs de fondation des maisons. Un examen des génitalia est nécessaire pour une identification fiable de ces deux espèces.

Salticus scenicus (fig. 2c) est une espèce commune sur les murs extérieurs des habitations, où elle se reconnait facilement grâce aux motifs à chevrons noir et blanc. Elle est originaire d'Europe où elle est aussi commune dans la région nord et même qualifiée d'espèce la plus fréquente de France sur les maisons (Hutchinson & Bélanger 1999). Cette araignée est quelquefois trouvée à l'intérieur, mais rarement en pleine nature. Nous ignorons la répartition de l'espèce au Québec, mais la mention la plus nordique connue est de Port-au-Saumon, dans Charlevoix (Turcotte et al. en préparation).

Scytodes thoracica est une espèce cosmopolite et synanthrope rarement trouvée au Canada, rapportée pour la première fois au Québec par Paquin & Lebrun (2021). Elle est de petite taille et de nature discrète. Il est fort probable qu'un examen plus attentif de l'intérieur de nos habitations révèlera qu'elle est plus commune que ne le laisse penser cette unique mention. Les espèces de cette famille sont bien connues pour les jets de colle qu'elles projettent sur leur proie pour les immobiliser et les saisir (Ubick 2017).

Meta ovalis (fig. 2f) est une espèce troglophile qui se trouve dans une multitude d'habitats extérieurs sombres et stables (Paquin et al. 2021). Cette recherche d'obscurité favorise aussi sa présence dans les structures humaines susceptibles d’offrir un habitat assez sombre pour répondre aux exigences des espèces troglophiles : les caves en pierre de certaines maisons, les vides sanitaires, sous les balcons, sous les couvercles de fosses septiques, etc. D'une bonne taille, cette espèce passe rarement inaperçue puisqu'elle tisse aussi de grandes toiles orbiculaires où elle suspend son sac d'œufs qui mesure près de 20 mm (Levi 1980a, Kaston 1981).

Parasteatoda tabulata (fig. 2d) et Parasteatoda tepidariorum sont deux espèces abondantes à l'extérieur des habitations et il n'est pas possible de les distinguer sans examen des génitalia. Les deux espèces sont introduites en Amérique du Nord, mais P. tepidariorum y est connue depuis le milieu des années 1800 (Walckenaer 1841). Levi (1963) mentionne qu'elle est probablement originaire de l'Amérique du Sud mais le WSC (2021) la rapporte plutôt de l'Asie. Quoiqu'il en soit, sa présence semble limitée au sud du Canada (Levi 1955, 1963). Parasteatoda tabulata a été décrite à partir d'un spécimen récolté à New York en 1976 (Levi 1980b) mais semble originaire de l'Asie (WSC 2021). Rapportée pour la première fois au Canada par Dondale et al. (1994), elle a montré une surprenante et rapide progression sur une grande partie de l'Est du Canada. Au Québec, elle est connue jusqu'à Port-au-Saumon dans la région de Charlevoix, et les premières mentions de cette espèce dans cette localité remontent à 2001 (Turcotte et al. en préparation). La répartition géographique exacte de cette espèce est mal documentée, mais elle semble plus nordique que celle de P. tepidariorum. Ces deux espèces tissent des toiles sur les surfaces externes des habitations et des constructions humaines, mais se trouvent aussi en milieux naturels (Paquin & Arbour 2021b). Dondale et al. (1994) font remarquer que les juvéniles de bonne taille et les femelles P. tabulata fabriquent un abri de soie positionné dans la partie centrale de la toile, souvent garni de débris comme des feuilles mortes et de restants de proies. La femelle s'y réfugie, souvent avec un ou plusieurs mâles à proximité. Elle y dépose aussi un ou plusieurs sacs d'œufs. Ce comportement qui incorpore des élements extérieurs (feuilles mortes, déchets et détritus) n'est pas connu pour P. tepidariorum et pourrait orienter les identifications sur le terrain, mais des données supplémentaires sont souhaitables pour confirmer cette observation.

Steatoda bipunctata (fig. 2h) et Steatoda borealis (fig. 2g) sont deux espèces très similaires et un examen des pièces génitales est nécessaire pour formuler une identification fiable. Elles sont communes à l'extérieur des habitations où elles fabriquent des toiles, mais elles sont souvent trouvées à l'intérieur des maisons et logis. Steatoda borealis est indigène et sa présence dans les milieux naturels est connue jusqu'aux pessières boréales (Paquin & Dupérré en préparation). Steatoda bipunctata est introduite et sa présence semble plus étroitement associée aux humains (Levi 1957, Nyffeler et al. 1986). Au Québec, elle est connue au nord de Port-au-Saumon dans la région de Charlevoix (Turcotte et al. en préparation) et dans le parc de la Gaspésie (Paquin & LeSage 2001) où elle a été récoltée en association avec les habitations. Nyffeler et al. (1986) précisent que S. bipunctata semble provoquer le déplacement écologique de S. borealis des habitations vers les milieux naturels, où S. bipunctata est absente.

Trachelas tranquillus (fig. 2e) a été mentionné pour la première fois au Québec en 2018 par Paquin & Nicolaescu. Ce premier spécimen a été trouvé dans la végétation d'une ruelle de Montréal, mais dès 2019, une multitude de mentions en provenance de la grande région du Montréal métropolitain ont été documentées (Paquin & Arbour 2021a). Cette espèce a été récoltée dans les habitations et dans les structures humaines à proximité d'habitations, ce qui confirme le caractère synanthrope bien connu de cette araignée (Platnick & Shadab 1974). Toutefois, quelques spécimens ont aussi été récoltés en milieux naturels perturbés.

Conclusion

Depuis 2018, plusieurs espèces synanthropes ont été découvertes au Québec : Scytodes thoracica, Pholcus opilionioides, Trachelas tranquillus, Crossopriza lyoni, surtout grâce aux publications de photos sur la page Facebook Les araignées du Québec. Il n'y a pas de doute que d'autres s'ajouteront grâce aux nombreux observateurs qui documentent maintenant notre faune.

Aussi, certaines espèces ont été considérées pour cette liste mais n'ont pas été retenues pour diverses raisons. Par exemple, Philodromus sp. est souvent aperçu dans les habitations, mais comme ce sont des individus immatures, il n'est pas possible de préciser à quelles espèces ils appartiennent. Sergiolus montanus (Emerton 1890) et Latrodectus variolus Walckenaer 1837 semblent aussi favoriser les habitats associés aux humains. Enfin, certaines espèces du genre Steatoda [S. triangulosa (Walckenaer 1802) et Steatoda castanea (Clerck 1757)] sont connues du Québec et qualifiées d'espèces synanthropes par Levi (1957). Steatoda grossa (C.L. Koch 1838) a aussi la réputation d'être synanthrope, mais elle n'a toujours pas été trouvée au Québec. Pour ces araignées, des données supplémentaires en provenance du Québec sont souhaitables afin de préciser leurs affinités écologiques ou leur degré d'association aux humains et leurs habitations.

Remerciements

Nous remercions Patrick Couture pour des précisions sur les dates relatives aux premières habitations humaines, Léo-Guy de Repentigny pour les photographies 1j et 2c. Nous remercions Claude Simard de nous avoir fourni un article manquant. Nous remercions Pierrette Arbour et Sylvain Lalongé pour la révision du manuscrit.

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2022
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