Les Araneidae comptent 31 espèces au Québec, mais une dizaine d’espèces additionnelles sont probables, dont deux sont présentées ici. La taxonomie des Araneidae d’Amérique du Nord est bien connue puisque Herbert Levi, un éminent arachnologue, leur a consacré une partie importante de ses travaux (Levi 1968 à 1977, Berman et Levi 1971). Récemment, Dondale et al. (sous presse) ont fait la synthèse des connaissances taxonomiques et biologiques des espèces du Canada.
À prime abord, les Araneidae paraissent faciles à identifier à cause de leur taille et de leurs motifs abdominaux colorés et diversifiés. Cependant, on s’aperçoit rapidement que ces motifs sont variables au sein d’une même espèce et qu’ils ne permettent pas toujours de poser un diagnostic fiable. Les causes de cette variabilité sont nombreuses : période de l’année, température, localisation géographique, altitude, etc., mais la raison pour laquelle ces conditions semblent affecter davantage les Araneidae que les autres familles d’araignées est inconnue. La variabilité observée dans cette famille explique le grand nombre de synonymes pour la plupart des espèces. Il faut être prudent lors de la détermination des espèces d’Araneidae, qui doit être faite en examinant les caractères morphologiques qui varient peu entre les individus d’une même espèce. À ce titre, les pièces génitales des mâles et des femelles sont les plus utiles. Les palpes des mâles sont très complexes, mais il importe de les orienter correctement pour pouvoir examiner à loisir les structures diagnostiques, particulièrement l’apophyse médiane. La plupart des femelles Araneidae sont munies d’un scape saillant dont la forme et la taille sont très utiles pour la détermination des espèces.
Les Araneidae sont également remarquables pour leurs comportements et pour leur biologie. Les faits d’histoire naturelle de ces araignées sont quelquefois tellement spectaculaires qu’ils donnent l’impression qu’il ne reste plus rien à découvrir. Rien n’est plus faux. Par exemple, dans un article taxonomique sur les petits Araneus, Levi (1973) mentionne que plusieurs espèces sont très rares et connues seulement de quelques exemplaires. Ces spécimens proviennent de nids de guêpes prédatrices (Sphecidae : Sceliphron) et on ignore où ces prédateurs spécialisés ont pu récolter ces araignées. Levi (1973) suppose que ces guêpes recueillent ces araignées au sommet des arbres, où très peu de récoltes ont été effectuées par les arachnologues. Cette anecdote suffit pour démontrer que l’on est encore très loin de tout savoir sur les espèces de cette famille. Les connaissances sur la sélection de l’habitat et du microhabitat, sur les différentes stratégies pour la construction des toiles, sur les préférences alimentaires, sur la limite de leur répartition géographique, et même sur l’étendue de notre faune, sont encore partielles.
Les Araneidae sont bien connus pour les impressionnantes toiles orbiculaires qu’ils tissent pour attraper leurs proies. Dondale et al. (sous presse) relatent les détails de la confection de la toile des Araneidae. La construction de ces toiles est induite par un remarquable comportement dont le résultat est d’une grande constance au sein des genres et des espèces. Typiquement, l’araignée choisit un site propice et tend les premiers fils de soie qui serviront de structure à la toile. Elle ajoute ensuite les rayons qui se rejoignent au moyeu, puis dans un mouvement spiralé, appose le fil de soie collant qui servira à attraper les proies. L’araignée se déplace dans sa toile sans s’engluer parce qu’elle pose les pattes sur les fils de soie qui ne sont pas collants. À partir de ce patron général, il existe plusieurs variantes dans la construction des toiles des Araneidae. Avec un peu d’expérience, il est possible d’identifier le genre ou l’espèce d’aranéide qui a construit une toile. Par exemple, certaines espèces du genre Araneus ajoutent souvent quelques fils de soie qui se joignent pour relier le centre de la toile à une retraite située à un des points d’attache supérieurs . Cette retraite consiste en quelques feuilles enroulées et attachées entre elles par de la soie, où l’araignée se cache pendant le jour en gardant une patte sur cette ligne de tension (Roberts 1995). Ce stratagème assure une meilleure perception des vibrations que provoquerait une proie prise dans la toile. Les espèces du genre Argiope ajoutent une structure de soie au centre de la toile que l’on nomme stabilimentum. La véritable fonction de cette structure est encore méconnue et certains arachnologues ont suggéré qu’elle constitue un signal visuel qui permet aux oiseaux de repérer la toile afin de l’éviter. Le stabilimentum reflète aussi les rayons ultra-violets, qui sont attrayants pour plusieurs insectes; selon une autre hypothèse, cette structure agirait donc plutôt comme appât. Cyclosa conica tisse une toile aux dimensions impressionnantes compte tenu de sa petite taille. Cette araignée ajoute un stabilimentum sur lequel elle dépose tous les détritus qui tombent dans la toile. Cyclosa conica ne construit pas de retraite; elle se tient au centre de sa toile, les pattes recroquevillées contre elle-même, bien camouflée au milieu des débris divers du stabilimentum.
La position et la localisation de la toile influence la composition des espèces d’insectes qui s’y prennent. Stowe (1986) précise qu’il y a un processus de sélection pour l’emplacement de la toile en fonction du type de proies désirées. Il n’est pas rare de voir une araignée abandonner un lieu improductif pour tenter sa chance dans un endroit qui lui semble plus prometteur. Carico (1986) a également démontré que certains Araneidae défont régulièrement leurs toiles pour optimiser les coûts énergétiques liés à cette fabrication en fonction du succès de capture.
Une proie qui se prend dans la toile d’un aranéide est rapidement paralysée par une morsure venimeuse, puis enveloppée dans de la soie. La proie est ensuite transportée à l’écart et l’araignée retrouve immédiatement une position d’aguet pour la capture des proies subséquentes. Ce n’est que plus tard que l’araignée se nourrit du fruit de ses captures. Contrairement aux Thomisidae et aux Theridiidae, dont les proies sont vidées de leur contenu par une perforation, qui laisse une cuticule vide mais tout à fait reconnaissable, les Araneidae mâchent leurs proies à l’aide de leurs chélicères dentées. La mastication produit une petite boulette méconnaissable, formée de divers morceaux d’insectes triturés (Roberts 1995).
Il existe un dimorphisme sexuel frappant chez les espèces des genres Araneus, Larinioides et Argiope : les femelles sont souvent beaucoup plus grandes que les mâles, qui paraissent chétifs en comparaison. Les femelles sont repérées facilement dans leurs toiles, mais les mâles sont beaucoup plus difficiles à trouver. Cette apparente rareté s’explique par leur plus petite taille, mais aussi parce qu’ils se déplacent à la recherche de femelles. Lorsque le mâle repère une toile qui semble prometteuse, il titille la toile de la femelle en une séquence qui est propre à l’espèce. Il s’agit d’un comportement permettant la reconnaissance des sexes d’une même espèce. La femelle réceptive entre alors en position d’accouplement et le mâle peut s’approcher en évitant d’être confondu avec une proie. Fait curieux, une fois les femelles d’Argiope fertilisées, les mâles meurent subitement - quelquefois même pendant l’accouplement - sans raison apparente (M. Folmer, communication personnelle). Le mystère plane toujours sur les causes de ce phénomène pour le moins intriguant.
D’autres Araneidae se reconnaissent facilement, par exemple, les femelles Cyclosa conica, dont l’abdomen se termine par une protubérance arrondie. La répartition géographique de cette espèce est très vaste et couvre toute l’Amérique du Nord. Au Québec, on la trouve dans les forêts clairsemées, où elle tisse souvent sa toile entre deux arbres. Aculepeira carbonarioides démontre des affinités alpines et nordiques évidentes (Levi 1977b). La mention de cette espèce sur les sommets du parc de la Gaspésie est remarquable (Paquin et LeSage 2001) et laisse entrevoir la présence d’autres espèces alpines connues uniquement des sommets du nord-est des États-Unis. Acanthepeira stellata est une espèce spectaculaire à cause de son abdomen muni de nombreuses protubérances. Elle tire son nom de cette particularité : stella, qui signifie étoile.
Les Araneus sont nocturnes, mais il est facile de les repérer en cherchant leur toiles orbiculaires, qui sont souvent de grandes tailles. Ils atteignent la maturité vers la fin de l’été, période pendant laquelle il est possible de repérer les toiles dans la rosée matinale. On demeure surpris du grand nombre de toiles que peut contenir un champ ou un bord de route, alors qu’une visite en après-midi ne permet de découvrir qu’un ou deux individus dans le même habitat. Le genre Araneus a été le premier baptisé dans l’histoire de l’aranéologie (par Clerck en 1758). À cette époque, toutes les araignées connues étaient placées dans ce genre. Ce n’est que plus tard que les taxonomistes ont créé et assigné des espèces à d’autres genres. Paradoxalement, le genre Araneus est encore mal défini de nos jours et les caractères morphologiques qui le distinguent des autres Araneidae sont mal établis. Levi (1971) écrit que plusieurs Araneus préfèrent certains habitats : A. nordmanni et A. corticarius se trouvent dans les forêts, A. trifolium et A. marmoreus dans les milieux ouverts, A. diadematus dans les villes et les jardins, A. cavaticus sur les falaises et les bâtiments, et A. bicentenarius parmi les lichens. Mentionnons la présence possible au Québec d’Araneus juniperi, une araignée à coloration vert tendre. Curieusement, presque tous les spécimens connus de cette espèce ont été récoltés en battant des pins (Pinus spp.), ce qui suggère également une spécialisation dans son choix d’habitat.
Contrairement aux Araneus et à la plupart des Araneidae qui tissent leur toile dans la végétation, les Araniella sont associés à la litière, où ils font de petites toiles dans les feuilles recroquevillées (Stowe 1986). Araniella displicata est une espèce largement répandue et très commune, tandis qu’A. proxima ne compte que quelques mentions au Canada (Buckle et Roney 1995). Les argiopes sont actives pendant le jour dans les milieux ouverts comme les jardins et les champs incultes. Argiope aurantia est connu au Québec à cause de son abdomen jaune et noir facilement reconnaissable. Les motifs jaunes, argentés et blancs d’Argiope aurantia sont également spectaculaires. Les argiopes femelles adoptent une position typique au centre de la toile, la tête en bas, guettant les proies. Elles confectionnent des sacs d’oeufs facilement reconnaissables.
On compte également trois espèces de Larinioides, qui sont largement réparties en Amérique du Nord et en Europe. Elles sont parfois nombreuses autour des habitations humaines. Comme les Araneus, les individus adultes se rencontrent surtout vers la fin de l’été et à l’automne. Cercidia prominens est une espèce rarement récoltée. Contrairement à la plupart des Araneidae qui préfèrent la végétation plus en hauteur, C. prominens tisse sa toile au ras du sol dans les terrains marécageux (Hutchinson et al. 2000b). La toile de cette espèce constitue une exception parmi les Araneidae avec son centre qui comprend une section vide, comme on observe chez les Tetragnathidae (Roberts 1995).
Nous possédons quelques données sur la présence d’Araneidae rarement trouvés au Québec [Mangora gibberosa (Hutchinson et al. 2000a), Araneus corticarius (Hutchinson 1998) Singa keyserlingi (Hutchinson 1999b)], mais notons que ces informations de base sont encore incomplètes pour la plupart des autres Araneidae de la province.
L’étude de la répartition géographique des Araneidae révèle que plusieurs espèces du Québec sont également présentes en Europe (Cercidia prominens, Cyclosa conica, Araneus marmoreus, Araneus nordmanni, Larinioides spp., Araniella displicata et Hypsosinga pygmaea). Il est difficile, voire impossible, de déterminer si ces espèces ont été introduites au cours des 200 à 300 dernières années (soit en Europe, soit en Amérique) ou si elles sont holarctiques (sensu LeSage et Paquin 2001). Par exemple, C. prominens est considéré comme holarctique, car il s’agit d’une espèce rarement récoltée dont l’introduction accidentelle semble peu probable. On estime que sa répartition géographique couvrait peut-être, à une époque reculée, l’ensemble de l’Amérique et de l’Europe. Par contre, Araneus marmoreus est considéré comme introduit en Amérique, mais cette supposition se base surtout sur son ubiquité en Europe. Dans la plupart des autres cas, les avis sont partagés sur le statut de ces espèces, considérées tantôt comme introduites, tantôt comme holarctiques. Les outils moléculaires apporteront un éclairage nouveau sur cette intéressante question.