Parcours 

Dans cette section, je trace le portrait des collaborateurs et collaboratrices de Natureweb. Ce sont des scientifiques passionnés au parcours souvent atypique. Ils et elles acceptent de se livrer pour démystifier la personnalité du chercheur à la curiosité insatiable dont le travail consiste à mettre en lumière les résultats de ses recherches en s’appuyant sur des preuves solides. Leur mission : faire avancer la connaissance et protéger la biodiversité de nos milieux naturels.

Clôde de Guise

Rencontre avec Pierre Paquin – biologiste et arachnologue.

Pierre Paquin a une feuille de route impressionnante. Dès sa prime enfance, il s’intéresse aux insectes qu’il croise. Ce sera beaucoup plus tard, lors de ses études universitaires de troisième cycle que les araignées, ces délaissées, s’imposeront comme champ d’étude spécifique. Il tisse la toile de ses recherches en se rendant aux quatre coins de la planète. Dans les champs, les tourbières, les forêts, les cours d’eau et les cavernes, son exploration n’a pas de limite pour débusquer les araignées même sous la neige. 

Terrain vague

Le premier souvenir de Pierre est sa fascination pour les sauterelles vers l’âge de 2 ans et demi. Après avoir récolté un plein pot pour bébé de cette bestiole, en ayant pris soin de percer le couvercle, il enfourche son tricycle et pédale à toute vitesse pour revenir à la maison. Il tombe à la renverse et son pot de verre se fracasse. Genoux éraflés, il pleure davantage la perte de ses précieuses bestioles que ses éraflures.

Pierre Paquin et sa collection de libellules

Son attirance réelle pour les insectes se précise dès l’âge de 4 ans. Les terrains vagues d’herbacées et de mauvaises herbes à proximité de la maison familiale, à Montréal-Nord, sont ses premiers champs d’exploration. Il est encouragé par ses parents. Sa mère lui achète des livres d’identification et son père lui bricole des cages à insectes. Les livres de l’époque portent sur les insectes d’Europe et c’est frustrant pour notre chercheur en herbe qui a du mal à identifier rigoureusement ses bestioles. 

À l’école, on le surnomme : « M. Bébitte ». Le jeune garçon a toujours avec lui son filet acquis pour la modique somme de 0,99 $ (qu’il possède encore). Il monte une première collection de coléoptères et de papillons. Aidé par un oncle, il apprend à épingler les spécimens dans les présentoirs. Pierre s’impose comme une référence pour l’identification des découvertes entomologiques de ses camarades et de son entourage.

L’adolescence sera marquée par d’autres intérêts qui mettront en veilleuse sa curiosité pour la vie dans les champs au profit des filles et de la musique. Dans la vingtaine, il fait partie d’un band, comme guitariste. Pendant plusieurs années, le band parcoure la province pour donner des spectacles dans des clubs. 

Un univers de découverte

L’intérêt se ravive au contact de passionnés comme André Larochelle qui se spécialise dans la collecte des carabes qui sont des coléoptères de la famille des carabidés (Carabidae), une des plus grandes familles de coléoptères et Raymond Hutchinson, entomologiste et professeur de secondaire, reconnu notamment pour ses recherches sur les libellules de la famille des odonates (Odonata). Hutchinson et Larochelle se sont donnés comme mission de faire connaître l’entomologie aux jeunes du Québec, entre autres via l’Association des entomologistes amateurs du Québec (A.E.A.Q.) fondée en mars 1973.

De l’école primaire à l’obtention d’un baccalauréat en biologie (option écologie) à l’UQAM en 1990, Pierre est bon élève sans plus.  Il manque de stimulation. Il dira que c’est à partir de la maîtrise que « le fun commence »: découvrir des champs d’études inexplorés, être entouré d’étudiants motivés et de chercheurs chevronnés. Tous carburent à l’adrénaline. Pierre Paquin, doté d’une excellente mémoire, se révèle être un homme de défi et un travailleur infatigable. 

Sous la direction de Daniel Coderre, entomologiste, il obtient sa maîtrise en sciences biologiques de l’UQAM en 1994, dont le mémoire s’intitulait : Impact immédiat de feux de forêt simulés sur les macroarthropodes édaphiques. En fait, l’étude porte sur l’impact de feux de forêt sur les larves d’insectes qui se trouvent dans les sols forestiers du lac Duparquet au nord de Rouyn-Noranda en Abitibi-Témiscamingue. Il publiera ses premiers articles scientifiques dans des revues prestigieuses de calibre international. 

Pierre Paquin marque un temps d’arrêt de quelques années et s’installe au Lac Duparquet. Il n’a pas de bourses, pas de directeur de thèse et fixe ses propres objectifs. Comprendre comment fonctionne la succession forestière et l’impact sur les insectes. Lors de ses collectes d’insectes, il note la présence de nombreuses araignées dans ses échantillons. 

Dans les années 50, Charles Dondale, arachnologue professionnel au service du ministère de l’Agriculture du Canada, est un pionnier dans l’identification des araignées au Canada. Celui que l’on surnommait Spider man, décédé en 2024, avait pris sa retraite en 1991 et laissait derrière lui un vaste champ de découvertes. Il n’en fallait pas plus pour que Pierre Paquin se lance avec détermination dans l’exploration de ce monde encore méconnu.

Jim Redner, assistant de Dondale, lui offre sa collaboration et contribue à établir les bases de la taxonomie des araignées. Pierre va enfin pouvoir identifier ces minuscules oubliées. Le travail en laboratoire et le travail de terrain le passionnent tout autant.

En 2002, il obtient son doctorat en sciences biologiques de l’Université de Montréal, sous la direction de Pierre-Paul Harper, entomologiste. Sa thèse « l’influence de la maturation forestière sur la biodiversité » portait sur la diversité des coléoptères et des araignées de la forêt boréale. En conclusion de sa thèse, notre chercheur est formel : « La diversité biologique de la forêt boréale comprend des espèces spécialistes associées aux forêts anciennes. »

Pierre Paquin récoltant des araignées

La dernière année du doctorat, Nadine Dupérré, arachnologue et illustratrice scientifique également diplômée de l’Université de Montréal, l’assiste dans ses recherches au lac Duparquet. Ensemble, pendant 25 semaines (d’avril à fin octobre), ils travaillent de l’aube à tard le soir pour documenter la diversité de 21 sites forestiers d’âges différents (de brûlés jusqu’aux stades dits anciens) répartis sur une distance de 500 km et collectent les insectes et araignées dans plus de 200 pièges hebdomadairement.  Ils ont découvert une vingtaine d’espèces d’araignées nouvelles pour la science et même quelques-unes vivant sous la neige à l’abri des grands froids hivernaux de - 30 à - 40 °C.

Grâce à son dossier de publications et l’excellence de son travail, on lui octroie des bourses d’études. De 2003 à 2006, Pierre Paquin complète trois stages post-doctoraux. Deux à San Diego en Californie et un à Portland en Oregon.

Des livres phares

La rencontre avec Nadine Dupérré a été déterminante. En 2003, ils publient ensemble : Guide d’identification des Araignées du Québec. Pierre est à la rédaction et la mise en page alors que Nadine illustre les 623 espèces recensées. On en compte aujourd’hui 707 avec un potentiel de 860. Cette publication s’impose comme modèle pour les ouvrages consacrés aux araignées. Véritable carte de visite, Pierre et Nadine ont accès aux sommités mondiales dans le domaine de l’arachnologie et ils se retrouvent aux quatre coins de la planète à chercher et identifier des bestioles.

Puis, ils travaillent conjointement avec les arachnologues américains Darrell Ubick et Paula E. Cushing à l’édition d’un Guide pour l’Amérique du Nord : Spiders of North America: An Identification Manual, paru en 2005. Dans les années 2000, Pierre et Nadine avaient mené un projet de recherche dans les forêts environnantes de Auckland en Nouvelle-Zélande. Des années plus tard, en collaboration avec l’arachnologue néo-zélandais Cor J. Vink, ils travaillent à la réalisation d’un guide sur les araignées de ce pays : Spiders of New Zealand, paru en 2010. À lui seul, Pierre a publié plus de 70 articles scientifiques sur les araignées mais aussi en entomologie, en écologie, en taxonomie…

Homme des cavernes et curiosité insatiable

Toujours prêt pour un nouveau défi, il développe une expertise en biospéologie. N’étant pas à une éraflure près, il explore et escalade les murs de 45 cavernes au Texas et notamment découvre  la présence d’araignées aveugles. Il est alors embauché comme chercheur scientifique sénior de l’unité des évaluations environnementales de la Compagnie SWCA à Austin au Texas dont les clients sont diverses industries qui doivent se soumettre au processus de conformité environnementale. Son champ d’expertise porte sur les araignées et autres arthropodes qui sont des espèces menacées spécialistes des cavernes. À la fin de cette période, Pierre compte plus de 300 cavernes dans lesquelles il a effectué des bio inventaires avec son équipe.

Pierre Paquin, biospéléologue, explorant une caverne

 La curiosité l’amène à acquérir toujours plus de connaissances.  Au cours de son premier stage postdoctoral, il se familiarise avec les outils moléculaires (ADN) et morphologiques pour la conservation d’espèces menacées. Encore aujourd’hui, l’essentiel pour ce chercheur est de trouver des solutions aux problèmes qui se présentent et à l’entendre, on comprend qu’il ne baisse pas les bras facilement. 

Pierre Paquin, arachnologue et scientifique chevronné, n’a pas réussi à se tailler une place avec un poste universitaire comme il le souhaitait. On lui reproche d’être un électron libre. Il n’hésite pas à souligner qu’un de ses plus grands regrets est de ne pas avoir pu partager ses multiples connaissances avec des étudiants en sciences de la nature.

Virage

En 2011, après un temps de réflexion, avoir construit de ses mains sa maison et monter son labo à domicile composé d’un ordinateur à multiples écrans, d’une collection de plusieurs milliers de fioles de ses mini araignées et d’un congélateur où sont conservés les segments d’ADN, Pierre Paquin ne se laisse pas démonter, il fonde Scienceinfuse. Pierre conçoit, réalise et anime des ateliers en science pour les élèves du primaire. Il partage avec son jeune public son enthousiasme pour les bestioles, les cavernes et les sciences de la vie et de la terre. Il arrive avec stéréoscopes et aspirateurs à bestioles pour capturer des spécimens dans les cours des écoles. La première réaction des tout-petits à la vue des araignées est « ouache »!!! Et, à la fin de l’heure, ils désirent devenir arachnologues.

En 2021, Pierre crée la revue scientifique Hutchinsonia, nommée à la mémoire de Raymond Hutchinson « l’érudit naturaliste des libellules et des araignées ». Le journal scientifique, qui paraît une fois l’an en version électronique, s’intéresse aux travaux originaux dans diverses sphères des sciences biologiques et au contenu inédit sur les araignées (arachnides) particulièrement celles du Québec mais pas uniquement. Certains articles sont très spécialisés mais d’autres sont accessibles aux arachnologues et naturalistes amateurs.  

Son groupe Facebook Araignées du Québec compte plus de 13 000 abonnés où ces derniers peuvent échanger des connaissances, des observations et poser des questions. Il y a plus de 50 000 araignées répertoriées dans le monde. Étant donné leur nombre élevé, elles sont reconnues comme des bioindicateurs universels de choix pour établir le bilan de santé environnementale de notre planète. De plus, sans elles, nous serions envahis par les insectes dont elles se délectent.

Rigolo

L’assiette de Pierre Paquin est déjà pleine mais il en rajoute une couche et en 2022 naît la bande dessinée Fractalis, à saveur scientifique, qui s’adresse aux jeunes de 9 à 99 ans. Avec son comparse Marc Desforges à la direction scientifique, ils font appel au dessinateur Jérémie Roy-Savard pour illustrer ce premier tome : Bébittes et Stalagmites. Pierre s’inspire d’arachnologues et autres scientifiques connus pour étoffer ces personnages et aiguiser son sens de l’humour. Les lecteurs sont invités à consulter le site Natureweb.com qu’il a créé avec le naturaliste et photographe Gilles Arbour, un autre de ses comparses de travail et d’amitié, pour parfaire leurs connaissances sur les notions abordées dans la bd.

Fractalis la bande dessinée scientifique

Les projets ne tarissent pas. Pierre Paquin donne des conférences et transmet sa passion à ceux et celles venus l’entendre. On ne s’ennuie pas à une conférence de Pierre surtout quand il commence à imiter les diverses danses de séduction des mâles araignées pour amadouer des femelles souvent plus imposantes qu’eux.

Il poursuit ses recherches sur le terrain, notamment en dressant des bio inventaires de quelques tourbières au Québec. Des milieux difficiles d’accès et dont la biodiversité est peu connue. Il découvre encore des espèces d’araignées qui n’ont jamais été vues par les humains ou qui sont observées pour la première fois sous nos latitudes.

Pour se détendre notre chercheur, qui vit à 300 milles à l’heure, écoute beaucoup de musique qui sera toujours au cœur de sa vie et il joue quotidiennement de la guitare. Il se plaît aussi à écrire des textes humoristiques. Ce scientifique, touche à tout, a conservé sa capacité d’émerveillement et il a le rire facile.

Publié 
28/6/2024
 dans la catégorie 
Arachnides